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De la Grundlage à la Nova methodo : l’intuition intellectuelle comme fondement du système

Publié dans les Études germaniques, Paris, Didier érudition, janvier-mars 2001, pp. 31-45.

L’œuvre de Fichte est une étape essentielle de la philosophie occidentale. Pour les lecteurs dont le nom de Fichte évoque un peu plus que les Discours à la nation allemande, sa philosophie se résume au Moi absolu, une pensée qui aurait osé ériger le Moi de chaque conscience finie en absolu. Quelqu’erronée que puisse être cette opinion, il n’y a pas que du faux à résumer ainsi la pensée de Fichte avec ces deux termes : le Moi et l’Absolu. En partant du premier, et en visant le second, nous comprenons que Fichte parachève la philosophie moderne, ce mode de philosopher qu’institue Descartes, qui procède par réflexion et s’enracine dans la subjectivité. Mais le Moi de la conscience finie n’est pas plus absolu pour Fichte que le cogito ne peut, chez Descartes, se confondre avec Dieu. Pourtant l’expression de « Moi absolu » nous invite bien, en partant du second terme, mais sans oublier le premier, à rapporter les deux termes l’un à l’autre. Rien de scandaleux à cela, la philosophie n’a peut-être jamais fait autre chose que d’exprimer ce rapport du fini à l’infini. Mais en accompagnant ainsi la subjectivité moderne, le terme d’absolu acquiert une signification plus précise, qui est celle du dépassement de cette même subjectivité. Fichte se rapproche alors d’une pensée contemporaine, celle qu’instituera Hegel et qu’illustreront les grands systèmes du XIXe siècle. Il y a bien ici dépassement de la subjectivité « moderne », et si l’absolu du XIXe se caractérise encore par la réflexivité, celle-ci peut être en moi sans que je la possède, j’y participe sans en être l’origine. Ces deux époques de la pensée ne peuvent donc pas se superposer ; mais la philosophie de Fichte en exprime pourtant la juxtaposition. La vie intellectuelle de l’auteur, et son œuvre même, reflètent cette scission qui les constituent. Outre la rupture avec Schelling, qui oriente la Doctrine de la science vers le rapport à l’Absolu, le vocabulaire même de l’auteur se transforme, au fur et à mesure des exposés successifs de la Wissenschaftslehre. Nous retrouvons ici une des principales difficultés ressenties à l’abord de la philosophie fichtéenne : son apparente absence d’homogénéité. La plupart des commentateurs ont proposé de découper l’œuvre en plusieurs époques[1] ; et les découpages les plus récents s’articulent souvent autour de la Nova methodo. Ainsi A. Philonenko propose-t-il de marquer une rupture en 1798[2]. I. Radrizzani cite dans sa thèse[3] plusieurs interprétations[4] qui convergent toutes pour couper la philosophie de Fichte autour de 1798. Mais des différences extrêmement importantes sont déjà présentes entre les deux premiers exposés de la Doctrine de la science, 1794 et « 1798 », date par laquelle nous désignerons l’exposé lui-même intitulé Nova methodo, professé jusqu’au semestre d’hiver 1798-99[5]. Si l’on ne pouvait rapporter l’un à l’autre les différents exposés de la Doctrine de la science, il faudrait purement et simplement annuler la valeur de la pensée fichtéenne, qui revendique tout à la fois sa continuité et sa systématicité. Établir des correspondances précises entre les différentes exposés n’est donc pas seulement ce qui nous permet de mieux comprendre chacun d’eux, cela nous permet aussi de montrer la continuité fondamentale de l’œuvre pour défendre sa valeur. Nous nous intéresserons dans cet article au deux premiers exposés, qui sont les plus lus, et qui permettent, mieux que les exposés ultérieurs, d’apercevoir les différents éléments du système à partir de la philosophie fondamentale.

Spécificité de l’exposé de 1794.

« Ma Doctrine de la science imprimée porte trop de traces de l’époque à laquelle elle a été écrite et de la manière de philosopher en quoi elle suivait son temps. Elle est par là rendue moins claire que n’a besoin de l’être une présentation de l’idéalisme transcendantal »[6]. La Grundlage[7] dont il est ici question, seul exposé « imprimé » de la philosophie fondamentale, est principalement accusé d’être trop « daté ». Effectivement, la structure de cet exposé renvoie à des exigences formelles issues du débat postkantien, essentiellement du rapport de Fichte à Reinhold. Rapport étroit, entre les œuvres mêmes des auteurs, lorsque par exemple le Concept de la Doctrine de la science (1794) de Fichte répond au Fondement du savoir philosophique de Reinhold. Rapport complexe, puisque Fichte reprend l’esprit du projet de Reinhold sans en reprendre la lettre, ainsi que l’expriment les positions prises par Fichte dans la Recension de l’Énésidème[8]. Fichte rejoint Reinhold dans son combat contre le scepticisme et dans sa volonté de systématiser la philosophie critique, conformément aux indications de Kant lui-même dans l’Architectonique de la raison pure, en fondant la philosophie sur un seul principe. Mais l’exposé fichtéen s’oppose, en son contenu, au principe de Reinhold : la « proposition de conscience », dont Fichte refuse de reconnaître la primauté. La proposition de conscience énonce le fait de la représentation : « dans la conscience, la représentation est distinguée par le sujet, du sujet et de l’objet, et rapportée aux deux ». Mais ce fait, comme tel, précisément par ce qu’il est un fait et renvoie donc à l’acte qui l’a constitué, ne peut être premier. Fichte met à jour les actes de conscience, antérieurs, auxquels il faut rapporter la position des faits composant la proposition de conscience de Reinhold. La première partie de la Grundlage peut donc se lire comme étant une réponse à la Philosophie élémentaire de Reinhold, réponse qui développe successivement, dans les trois premiers paragraphes et principes du système, au lieu du sujet, de l’objet et de leur rapport, les trois actes fondamentaux : position, opposition, composition.

Le principe premier, auquel doit se rattacher toute proposition, doit être immédiatement certain, et communiquer la certitude qu’il possède par lui-même aux autres propositions. Dans l’écrit préparatoire de 1794, la certitude était définie de façon formelle [9] par un accord entre forme et contenu de la proposition. Pour le premier principe, cette certitude doit être immédiate. D’un simple point de vue formel, son immédiateté se définira par distinction d’avec la certitude médiate des autres propositions : ce n’est pas parce qu’il se rapporte à une autre proposition que le premier principe sera certain, c’est parce qu’il se rapporte immédiatement à lui-même. Ce rapport immédiat à soi et ce que Fichte appellera « égoïté » jusqu’en 1801. S’il doit y avoir une deuxième proposition – et nous verrons qu’il faut une deuxième proposition pour construire le système – elle peut elle-même être principe, c’est-à-dire posséder par soi-même sa certitude, mais elle ne le peut pas complètement, sinon elle serait identique au premier principe. D’après le Concept de la Doctrine de la science (1794), s’il doit y avoir un deuxième principe, il doit être inconditionné soit dans sa forme, soit dans son contenu. La Grundlage pose un deuxième principe, acte d’opposition – le Non Moi – conditionné dans son contenu (car second, je ne peux poser nonA que par rapport à A, le deuxième principe est quant à son contenu conditionné par le premier) mais inconditionné dans sa forme. Par rapport à l’exposé des possibilités formelles du Concept de la Doctrine de la science (1794), il y a dans la Grundlage un choix – celui de présenter un deuxième principe inconditionné dans sa forme – dont la Grundlage ne peut pas rendre raison dans sa première partie, la nécessité de ce choix n’apparaissant qu’avec l’achèvement du système. Cela ne sera plus le cas dans l’exposé de la Nova methodo.

Nous avons donc un premier principe inconditionné dans sa forme et dans son contenu, un deuxième principe inconditionné dans sa forme mais conditionné dans son contenu, nous devons donc avoir un troisième principe, inconditionné dans son contenu et pas dans sa forme. Nous devons avoir encore un principe : « encore un », car l’unité du système nous commande de composer les deux premiers principes, et nous ne pourrions le faire par l’un des deux seulement sans rompre l’unité du système, puisque les deux premiers principes sont opposés. Il faut donc qu’une nouvelle proposition intervienne au commencement du système. Et il s’agira encore d’un principe : cette nouvelle proposition sera en effet principe puisqu’il s’agit précisément du commencement du système, et que la certitude de cette proposition doit être encore, pour une part, immédiate (par soi) ; dans la mesure où cette proposition est nouvelle et doit être certaine, elle doit être certaine par elle-même, c’est-à-dire doit être principe, pour que le système fournisse la certitude aux autres propositions et soit bien science.

Du point de vue de la construction formelle du système, il ne peut y avoir que trois principes – dont un principe premier –, puisqu’en composant la forme et le contenu on ne peut obtenir que trois propositions certaines par elles-mêmes, comprenant au moins une part d’inconditionné. Pourquoi faut-il trois principes et non pas un ? En 1794, la réponse est difficile, puisqu’on n’aperçoit pas la nécessité de la position du Non Moi. On peut toutefois comprendre qu’il faut trois principes pour rapporter l’inconditionné au conditionné, pour que le premier principe soit vraiment principe, pour qu’il engendre. De fait, le premier principe ne pose rien. Poser veut toujours dire limiter ; si l’on est « quelque chose » ou « un quelque chose », c’est que l’on est pas tout. Mais, si le premier principe ne pose rien, n’est-ce pas avouer que le premier principe n’est plus vraiment principe ? Ce à partir de quoi se construit le contenu du système n’est pas le Moi absolu, mais le Moi limité ou divisible que nous reconnaissons dans la conscience empirique, et qui ne devient possible qu’au niveau du troisième principe, composition du Moi et du Non Moi, synthèse suprême : « la forme du système [i.e. la nécessité de composer et d’opposer, c’est-à-dire ce qui détermine les termes du système, son contenu] se fonde sur la synthèse suprême [le 3e principe] ; qu’il doive y avoir un système se fonde sur la thèse absolue [le 1er principe] »[10].

Cette abord formel de la construction du système a plusieurs conséquences, dont au moins deux importantes qui marquent la spécificité de l’exposé de 1794. La première de ces conséquences concerne la position du Non Moi. En 1794 l’opposition d’un Non Moi ne se justifie a priori que par le projet fondateur, celui exposé dans le Concept de la Doctrine de la science (1794), en rapport aux thèses de Reinhold. Restait ensuite à rapporter ce projet à son objet, la conscience de soi, mais cela ne pouvait se justifier qu’au cours du système, lorsque la philosophie théorique montre la nécessité de la position du Non Moi. En 1798, pour reprendre les termes d’I. Radrizzani, l’opposition du Non Moi « est trouvée dans l’acte même qui permet la construction du cpt du Moi »[11] : dès le §1 de la Nova methodo le Moi prend conscience de lui-même sur fond de ce qui n’est pas lui ; on comprend ainsi d’emblée pourquoi il faut opposer un Non Moi. Partant de l’intuition intellectuelle qu’effectue pour elle-même la conscience empirique, la Nova methodo se situe d’emblée au point de vue de ce que la Grundlage appelait la synthèse suprême, la position d’un Moi limitable ou divisible au § 3. Ainsi la Nova methodo peut-elle commenter :

« la démarche observée dans le compendium était diamétralement inverse. Là-bas [...] A partir de l’acte d’opposer, nous avions déduit l’acte de déterminer. Les deux méthodes sont correctes, car la déterminité nécessaire du Moi et l’être nécessaire du Non Moi sont en relation réciproque [...] mais la voie suivie maintenant a les avantages suivants : la déterminité du Moi est en même temps moyen de liaison entre le Moi et le Non Moi »[12].

La deuxième conséquence, plus complexe à saisir en son fond, concerne la séparation du théorique et du pratique. La philosophie de Fichte parachève le criticisme et constitue l’expérience à partir de l’effort pratique, prouvant que la raison est pratique en son fond. Il y a donc, dans la séparation du théorique et du pratique, une sérieuse raison de ne pas en rester à l’exposé de 1794. La nécessité d’une partie pratique apparaît dans la Grundlage à l’issu de la construction du Moi intellectuel, pour résorber la distance entre le Moi pur, premier principe, et le Moi de la conscience empirique, Moi limité par un Non Moi et qui construit les représentations à partir de cette limitation. Cette distance entre le fini et l’infini demeure dans les exposés ultérieurs, mais elle ne sépare plus en deux parties du système les deux faces de la conscience. Dans l’exposé Nova methodo, Fichte rapporte d’emblée le vouloir pur à la conscience de soi. L’intention de prendre conscience de soi-même fait partie intégrante de l’intuition intellectuelle et lie le vouloir à la conscience de soi. Les conditions de possibilité de ce vouloir, nous conduisant au vouloir pur, seront développées conjointement à celles des objets représentés. Ainsi la Nova methodo commente-t-elle :

« La première présentation était rendue difficile par le fait que les conditions de possibilité des propositions n’y ont pas été traitées selon l’ordre naturel mais dans une partie théorique puis dans une partie pratique ; par là, des choses qui sont directement liées entre elles se sont trouvées rejetées trop loin les unes des autres, ce qui ne doit plus être le cas ici »[13].

Nouveauté de l’exposé de 1798.

La principale nouveauté de l’exposé selon la « nouvelle méthode » se trouve dans la présence de l’intuition intellectuelle, expérience de la prise de conscience de soi, qui est absente de la Grundlage ainsi que l’a souvent fait remarquer A. Philonenko. En 1794, Fichte part bien d’une autoposition, mais non de l’opération même de la conscience effectuant l’intuition intellectuelle ; cette conscience ne peut apparaître qu’au § 3, avec la position d’un Moi limité ou divisible. En soulignant ci-dessus que l’unité du théorique et du pratique s’enracinait dans l’intuition intellectuelle, nous avons déjà indiqué que l’absence de l’intuition intellectuelle n’est pas seulement responsable de la position abrupte du Non Moi, mais également de la deuxième des caractéristiques de l’exposé de 1794 : la séparation du théorique et du pratique.

L’intuition intellectuelle est donc la principale différence entre les deux premiers exposés de la Doctrine de la science parce qu’elle apparaît, dès la Nova methodo, comme fondement de l’unité du système, point de départ de sa construction. Dans la Grundlage, Fichte nous demandait bien de partir d’une proposition certaine afin d’en rechercher sa condition de possibilité ; mais cela ne nous conduisait alors qu’au premier principe. Le système se déduisait ensuite à partir des trois premiers principes, et non à partir de la certitude première. Non pas que la première certitude soit, en 1794, moins certaine que l’intuition intellectuelle ; au contraire, elle nous révèle ce qui restera la définition de la certitude : l’identité avec soi. Mais exprimée sous la seule forme d’une immédiate et parfaite égalité avec soi – le « Je = Je » – cette identité ne permet pas de construire le système. Elle ne retient pas en elle la différence, et c’est pour cela qu’elle doit se l’opposer.

Attention toutefois à ne pas rendre le premier principe de 1794 étranger à l’exposé de la Nova methodo. Les premières pages de cet exposé suffisent d’ailleurs à nous rappeler la présence de la Thathandlung en 1798. Il s’agit bien de la même notion, témoin en est le contexte, parlant du premier principe et reprenant l’opposition à la Thatsache qui est, encore ici, illustrée par Reinhold et sa proposition de conscience. L’intuition intellectuelle, expérience de la conscience empirique revenant sur elle-même pour prendre conscience d’elle-même, retrouve en effet la Thathandlung comme définition de soi-même, identité fondamentale. Cette identité est réflexivité première, immédiate. Le point de départ des deux exposés peut donc ne pas être identique, ce qui permet à la conscience empirique d’effectuer l’intuition intellectuelle est la réflexivité fondamentale de toute conscience. Cette réflexivité demeure au fond de la conscience en 1798, et c’est la même réflexivité immédiate qui était fondement absolu en 1794. On retrouve ainsi la Thathandlung dans la Seconde introduction[14], Ve section, contemporaine de la Nova methodo. Sa fonction est toujours identique dans ces trois textes : réflexivité première au fondement de toute conscience, elle est, comme l’indique la Seconde introduction, à rapprocher du « Je pense » kantien. Et jusqu’à un certain point, comme le « Je pense » kantien, nous n’en prenons pas immédiatement connaissance. Chez Kant, nous en avons conscience mais n’en prenons pas du tout connaissance, comme le démontrent les Paralogismes de la raison pure. Chez Fichte, nous en prenons connaissance d’une façon incomplète : nous avons conscience de nous mêmes comme d’une pure activité, d’un retour sur soi, etc. ; lorsque nous prenons ainsi conscience de nous-mêmes, nous formons le concept de cette pure activité, et nous en avons, à ce moment là et de cette façon là, connaissance. Ce qui permet de parler chez Fichte d’une connaissance de soi, c’est précisément que nous formons le concept de Moi pur lorsque nous réfléchissons sur nous-mêmes, lorsque nous reproduisons la réflexivité première, réflexivité immédiate du Moi pur, Thathandlung. C’est cette réflexivité première et inconsciente, que nous manifestons en la reproduisant, qui est alors pensée comme unité sujet/objet dans le concept de Moi lié à l’intuition intellectuelle de la conscience de soi. C’est ce concept de Moi qu’exprimait le premier paragraphe de la Grundlage. Pour prendre conscience de soi, il faut que la réflexion consciente se superpose à « l’intuition intellectuelle réelle »[15], « l’obscur »[16] acte d’autoposition qui doit être présupposé au fondement de toute conscience, le pur retour sur soi, qui est condition de possibilité de toute réflexion consciente.

Dans la Nova methodo, Fichte construit l’ensemble du système à partir de l’intuition intellectuelle en rapportant à cette certitude première l’ensemble de l’expérience, en montrant que l’ensemble de l’expérience est condition de possibilité de l’intuition intellectuelle. C’est la tâche de la première partie de l’exposé, qui analyse l’expérience de l’intuition intellectuelle. Comment Fichte montre-t-il cela ?

Commençons nous aussi par l’expérience de l’intuition intellectuelle, en suivant le premier paragraphe de la Nova methodo qui correspond aux trois premiers points de l’Essai d’une nouvelle présentation de la Doctrine de la science, article publié en 1797. Ainsi que le rapporte un auditeur, Fichte, professeur de philosophie, demande à ses auditeurs de faire eux-mêmes l’expérience de l’intuition intellectuelle, de prendre conscience d’eux-mêmes :

« « Messieurs […] pensez le mur ! » - je le voyais, les auditeurs pensaient effectivement le mur et cela semblait à tous leur réussir. Avez-vous pensé le mur ?, demandait Fichte, alors pensez celui qui a pensé le mur. » Il était fort curieux d’observer le trouble et l’embarras que cette injonction semblait maintenant manifestement causer […] »[17]

Dans ce premier moment nous avons simplement une juxtaposition entre deux expériences de la conscience. Une première expérience, celle de la pensée du mur, où la conscience ne se pense pas et ne peut savoir ce qu’elle est[18], et que nous devons donc nous figurer ainsi :

[Mur <— ?]

Ne pourrions-nous figurer la deuxième expérience, pensant la première, de la façon suivant ?

[ (Mur <— Je) <— ?]

En fait, on ne peut simplement répéter ici le point d’interrogation signifiant que le Moi ne se pense pas lorsqu’il pense un objet, puisque précisément, le Moi est ici censé se penser. Il faut donc rapporter le « Je » pensant le Mur au « Je » pensant, et laisser le Mur de côté, en nous figurant ce moment ainsi :

Le « Je » ci-dessus est alors à la fois sujet et objet, et cette affirmation même constitue un savoir de ce qu’est le Moi. Après avoir demandé[19] à ses auditeurs d’effectuer l’intuition intellectuelle, Fichte conclut donc immédiatement, l’essence du Moi, et poursuit en cela l’analyse de l’intuition intellectuelle. Il ne pourrait pas conclure ici l’essence du Moi si cela n’était pas immédiat. Comprenons cette dernière phrase en reprenant les indications précédentes, précisant que le Moi prend conscience de lui-même et se reconnaît comme étant fondamentalement réflexivité en reproduisant la réflexivité première qui gît au fond de toute conscience, en revenant sur « l’intuition intellectuelle réelle ». Par là, la conscience empirique éprouve sa réflexivité, se prouve comme conscience de soi, en effectuant l’expérience qui lui donne le savoir de soi comme étant fondamentalement réflexivité. C’est en ce sens que Fichte a pu écrire, à propos de l’intuition intellectuelle : “ cet acte est en vertu de sa nature même objectif ”. De par le fait que chaque conscience finie, effectuant l’intuition intellectuelle, puisse poser immédiatement l’essence du Moi comme sujet/objet, il y a un savoir de soi comme unité sujet/objet, unité produite dans et par la réflexivité.

La définition fichtéenne de l’intuition se distingue bien de l’intuition kantienne, au sens où l’intuition kantienne est celle d’un objet, et l’intuition fichtéenne celle d’un acte. Mais la définition kantienne du savoir est toujours applicable : le savoir consiste à rapporter l’intuition au concept, en l’occurrence le savoir de soi consiste à rapporter l’intuition du Moi, dans l’expérience de l’intuition intellectuelle, au concept de Moi, c’est-à-dire à la pensée de l’unité sujet/objet.

Comment avons-nous pu obtenir le concept du Moi, alors même qu’il ne doit pas y avoir d’autre détermination que celle de l’autoactivité immédiatement saisie en une intuition ? La réponse nous est fournie par l’analyse des conditions de possibilité de l’intuition d’un acte et la définition spécifique du concept comme activité au repos.

L’intuition d’un acte se saisit par opposition à un repos. Cela n’est pas seulement formel : ce repos est ici à comprendre comme Non Moi ; il est, dans l’expérience décrite, le mur comme non-être du Moi. Mais il est alors aussi ce qu’était le Moi à ce moment là, c’est-à-dire inactivité, oubli de soi dans l’objet. En pensant le mur, je ne pense pas ma libre activité, et de fait mon activité n’est pas libre en pensant le mur, elle est, comme dit Fichte dans la Nova methodo, « liée », ou « limitée » dans les termes de la Grundlage. L’intuition d’un acte se saisissant par opposition à un repos, notre intuition de la sujet-objectivité ci-dessus était en fait :

Dans cette figure le trait oblique représente l’opposition du repos, condition de l’intuition de soi-même comme activité. Attention, il n’est pas dit ici que la pensée de soi–même (et non l’intuition de soi-même) soit elle-même, en tant que pensée, une activité opposée à un repos. Comme le précisera le paragraphe deux, la pensée de soi-même est d’abord à sur le même plan que celui de toute objectivité, sur le plan du concept.

Ce terme a un sens précis chez Fichte : concept signifie pour lui une fixation de l’agir, une activité au repos. « Fixation » fait référence à un jeu étymologique sur le terme de Verstand, que Fichte explicite dans la Grundlage[20] :

Es ist das Vermögen, worin ein Wandelbares besteht, gleichsam  verständigt wird (gleichsam zum Stehen gebracht wird), und heißt daher mit recht der Verstand.

L’entendement comprend parce qu’il tient ou maintient immobile, fait par là accéder à l’existence, en conférant une consistance. L’agir fixé devient alors un repos, dépôt de l’acte. Mais ce repos est un repos déterminé, repos de l’activité ou activité au repos. Lorsque l’intuition, qui est un agir, se vise elle-même comme agir, elle fait d’un agir – son agir – un repos. Lorsque je me pense, je me pense comme actif mais fixe mon agir et dans cette fixation de l’agir consiste son concept, avec la possibilité de prendre alors mon agir comme objet de pensée. L’intuition intellectuelle de ma conscience de soi objective son agir en un concept. Ce concept étant celui d’un agir qui revient sur lui-même, est bien concept de la sujet-objectivité. Nous retrouvons bien alors la sujet-objectivité du § 1 de la Grundlage, mais en tant que concept, sur le même plan que les objets. Il peut donc y avoir ici identité avec la Grundlage, en tant que le premier principe était, dans le § 1, pensé comme sujet-objectivité :

« Cf. le § 1 de la version imprimée de la Doctrine de la science, où il est dit la même chose d’une manière différente. Là-bas, nous passions du concept à l’intuition ; ici, nous suivons la démarche inverse »[21]

Le deuxième paragraphe de la Doctrine de la science Nova methodo confirme ce rapport à la Grundlage lorsqu’il reprend, grâce aux catégories de déterminé et de déterminable, que Fichte emprunte à Maïmon, cette pensée du Moi par lui-même. Cette reprise présente, comme le feront tous les paragraphes de la première partie de la Nova methodo, les conditions de possibilité du paragraphe précédent, en l’occurrence du fait même de l’intuition intellectuelle. Lorsque je me pense, je le fais par opposition à ce qui n’est pas moi, et donc en faisant abstraction de ce que je pensais comme n’étant pas moi, p.ex. dans le paragraphe précédent, le mur. De ce fait, la conscience de moi-même ou conscience de l’auto-activité est déterminée, à comprendre comme particulière ou spécifique dont il faut saisir la différence sur fond d’une conscience en général. Cette dernière sera, en rapport à la conscience déterminée de mon activité, indéterminée, et c’est cette indéterminité que Fichte qualifie de déterminable, en soulignant par là son rapport à la conscience déterminée dont il est ici question. Le couple (déterminé / déterminable) manifeste en effet un lien nécessaire, qui est pour Maïmon critère de la pensée réelle ou « réalisante ». Ainsi je ne puis penser le droit sans penser la ligne, ni penser la ligne sans penser l’espace ; la ligne est un déterminable par rapport au droit, et un déterminé au déterminable qui est alors l’espace. Le lien qui rapport le déterminé au déterminable est ici, illustre de la Nova methodo, la nécessité même où nous sommes de rapporter le Moi au Non Moi lorsque nous effectuons l’intuition intellectuelle.

Notons que la position d’un Non Moi se fait donc dans et par l’intuition intellectuelle qu’effectue le Moi de la conscience empirique, et non à partir de l’intuition intellectuelle originaire, que représente le concept de Moi et qui était l’objet, en tant qu’autoposition absolue, du premier paragraphe de la Grundlage. L’analyse fichtéenne de l’intuition intellectuelle nous impose donc des distinctions au moment même des mises en rapport, provoquée par la prise de conscience de soi dans l’intuition intellectuelle qu’effectue la conscience empirique. Ces distinctions sont présentés au § 2 de la Nova methodo et concernent, tout d’abord, la « conscience immédiate », le subjectif en toute conscience dont nous ne prenons jamais conscience comme d’un objet et qu’il faut rapprocher du Je pense kantien. Lorsque la conscience empirique – deuxième forme de conscience ici – prend conscience d’elle-même, elle fait retour sur cette réflexivité première, grâce à cette réflexivité première qu’elle éprouve par là même. Mais elle ne prend pas pour autant connaissance de cette réflexivité immédiate comme telle, puisque la superposition de la réflexion de la conscience empirique à la réflexivité première se dépose en un concept – repos de l’activité – qui est concept du Moi pur, réflexivité première ou Thathandlung telle qu’exposé au § 1 de la Grundlage ; c’est la troisième forme, sinon de conscience, du moins de réflexivité qu’il nous faut penser ici. Nous avons donc, liés dans l’acte d’intuition intellectuelle, tout à la fois le premier paragraphe de la Grundlage, et le Non Moi, deuxième paragraphe, que nous retrouvons dans la Nova methodo par opposition à l’activité. Ce Non Moi n’est pas seulement requis dans la Nova methodo pour penser le Moi par abstraction. Il se spécifie en repos déterminé, concept de Moi comme concept d’une part, et repos absolu, sur fond duquel nous pouvons distinguer le concept de Moi, qui est , en tant que concept, un repos, et le repos lui-même, ne se référant à aucune activité, que Fichte appelle alors le « repos du repos ». Cela veut dire que le Non Moi, comme « repos du repos », est à penser à partir de l’opposition, dans et pour une conscience empirique effectuant l’intuition intellectuelle, d’un concept du Moi pur et d’un repos absolu. En comparant maintenant les deux exposés de la Doctrine de la science, nous retrouvons bien dans la Nova methodo les trois moments de la première partie de la Grundlage, mais renversés : le Moi limitable ou divisible, § 3 de le Grundlage, représente la conscience empirique dans et pour laquelle a lieu l’opposition du Moi (du concept de Moi) et du Non Moi (repos du repos).

Effectuant l’intuition intellectuelle, la conscience empirique obtient bien un savoir de soi. Il y a savoir, puisqu’il y a concept et intuition, et savoir de soi, puisqu’à l’activité réflexive de la conscience de soi, reproduisant l’intuition intellectuelle originaire, correspond le concept d’une autoposition, le concept même de cette activité qui s’intuitionne. Mais, dans la mesure où il s’agit d’un savoir, ce que je comprends en ce savoir n’est pas identique à l’intuition intellectuelle originaire ou « réelle ». L’intuition intellectuelle de la conscience de soi s’opère et se superpose bien effectivement à l’intuition originaire, pure réflexivité, qu’elle reproduit, voire qu’elle est exactement en sa forme. Mais elle n’est pas pure réflexivité, puisque cette activité d’intuition a un contenu, ne vise pas immédiatement sa propre activité, mais sa propre activité comme concept, son activité au repos. Dès lors nous pouvons penser, grâce à la Nova methodo, la distinction entre le premier et le troisième paragraphe de la Grundlage. Ce qui rend possible une connaissance du Moi pur ou de l’Absolu - c'est-à-dire qu'en la forme de son acte mon intuition se rapporte exactement au concept de cet acte - est aussi, immédiatement, ce qui me distingue du Moi pur. Mon intuition étant intuition de quelque chose, et précisément du concept de Moi, n'est pas intuition pure, tout comme le quelque chose intuitionné, étant concept, n'est pas activité pure. Le savoir le plus exact de moi-même contribue donc, par le simple fait qu’il soit savoir, i.e. rapport entre une intuition et un concept, à me séparer de ce qu’il y a d’absolu en moi-même, l’unité sujet-objet. Le savoir n’est donc pas l’absolu et il y a bien, sur cette détermination essentielle de la philosophie fichtéenne, continuité de l’œuvre. C’est pour affirmer cette continuité et la spécificité de sa philosophie que Fichte polémique, jusque dans ses derniers ouvrages, avec Schelling et l’affirmation de l’Absolu qu’imposera le XIXe siècle.

L’intuition intellectuelle et l’unité entre théorie et pratique

La suite immédiate de la Nova methodo réfléchit à nouveau sur ce qui vient d’être fait pour en mettre à jour la condition de possibilité. Le § 2 vient de définir la conscience de soi comme passage du déterminable au déterminé. Le § 3 répond à la question : comment s’effectue ce passage ? Le passage s’effectue « librement ». Le § 3 pose alors l’importante distinction entre activité réelle et activité idéale, qui recouvre globalement la distinction entre pratique et théorique, sachant qu’on ne peut les désigner ainsi l’un et l’autre qu’en comprenant la nécessité de les rapporter l’un à l’autre. L’activité réelle est l’agir, déterminé absolument par lui-même, libre donc. L’activité idéale est le déterminable de l’activité réelle, l’activité au repos, son concept comme faculté (Vermögen, pouvoir dans les traductions françaises). Il n’y a pas de primauté du déterminable sur le déterminé : le déterminé est libre, agit de lui-même, etc. Au contraire, l’activité idéale est déf. comme seconde, elle reproduit l’activité réelle. Elle n’en est pas moins essentielle, puisque tout ce qui advient au Moi doit être posé par le Moi, et donc représenté : « Pas d’activité réelle du Moi sans activité idéale », il ne s’agirait pas sinon d’une activité réelle « du Moi ». Réciproquement : dans cette représentation, le Moi n’est pas simplement miroir, il est aussi actif, et lorsque Fichte écrit « pas d’activité idéale du Moi sans activité réelle », il ne faut pas simplement comprendre que l’activité réelle est première parce qu’elle est représentée par l’activité idéale seconde, il faut comprendre que le Moi doit se poser comme représentant, qu’il faut alors une nouvelle activité réelle par laquelle le Moi se décide à réfléchir. Il faut donc aussi, dans l’affirmation fichtéenne : « pas d’activité idéale du Moi sans activité réelle », souligner qu’il s’agit bien « du Moi ». Il s’agit d’un Moi, et non pas d’un miroir : « Sur le miroir se trouve l’image, mais le miroir ne la voit pas »[22]. Je me décide, par une activité. réelle, à me représenter, à m’approprier, l’activité idéale que je trouve en moi. Nous savons maintenant que le Moi doit prendre conscience de lui-même pour être un Moi. Il y a là une libre décision qui est aussi une exigence liée à l’essence même de celui qui réfléchit.

Intuition intellectuelle et unité du système.

La dernière remarque nous rappelle que l’exigence pratique se trouve enveloppée dans l’intuition intellectuelle, que je dois prendre conscience de moi-même pour exister comme un Moi, et que cette exigence, consubstantielle à l’existence même du Moi, est absolument impérative. La suite de la première partie de la Nova methodo, remontant de condition de possibilité en condition de possibilité, nous conduit à l’impératif catégorique pour saisir le caractère absolu et premier de cette exigence. Vouloir prendre conscience de moi-même a pour condition la formation d’un concept de fin, qui a lui-même pour condition de possibilité une connaissance ; je ne puis en effet vouloir faire quelque chose, le choisir, sans savoir ce que c’est[23]. La recherche des conditions de possibilités du concept de fin nous renvoie alors indéfiniment d’un vouloir à une connaissance, condition de ce vouloir en lui fournissant un objet. C’est pour briser ce cercle que le § 13 de la Nova methodo, dernier paragraphe de la première partie, fait appelle au vouloir pur. Le vouloir pur sait immédiatement ce qu’il veut puisqu’il n’a pas d’autre contenu que sa propre forme.

Cette recherche des conditions de possibilité du concept de fin entrelace la dimension théorique et pratique que séparait la Grundlage, et la totalité du premier exposé se retrouve ainsi dans la première partie de la Nova methodo. Mais le second exposé ne s’arrête pas là. L’appel au vouloir pur intervient en effet comme seule condition de possibilité pensable pour expliquer la conscience de soi. Il faut encore mettre en rapport cette condition ultime et la conscience réelle, pour éprouver la vérité de ce qui apparaît, au terme de la première partie de la Nova methodo, comme une hypothèse. Au même titre que la Grundlage reconstruisait la conscience effective dans la Déduction de la représentation, après avoir présenté, dans le § 4, l’imagination transcendantale comme seule possibilité intellectuelle pensable pour composer théoriquement le Moi et le Non Moi, la Nova methodo reconstruit, dans sa deuxième partie, la conscience effective à partir du vouloir pur, en rapportant ce dernier à la conscience empirique. Nous faisons donc en quelque sorte le chemin inverse, tout comme la Déduction de la représentation remontait, dans la Grundlage, de l’imagination transcendantale vers les premiers principes. Mais il ne s’agit plus seulement ici de philosophie théorique. C’est l’ensemble du système qui est ici déduit, et le dernier paragraphe de la Nova methodo synthétise les subdivisions de la Doctrine de la science : position et détermination de la nature à partir du corps humain ; détermination de l’interaction des êtres raisonnables dans le monde (position et détermination du droit) ; rapport de l’individualité raisonnable à l’existence de la raison en général (éthique) ; interaction entre le sensible et l’intelligible (religion). L’ensemble du système n’aurait pu être ainsi déduit en 1794, précisément parce que la Doctrine de la science ne partait pas alors de l’expérience fondamentale qui retient en elle l’ensemble de ces déterminations : l’intuition intellectuelle.



[1]. Dès Émile Lask dans son texte de 1902, Fichtes Idealismus und die Geschichte ; X. Léon publiait à cette même date La philosophie de Fichte, en proposant à l’inverse une interprétation homogène de l’œuvre, ce qu’il soutiendra jusqu’à Fichte et son temps ; cela n’en est que plus remarquable.

[2]. L’œuvre de Fichte, p. 8.

[3]. Vers la fondation de l’intersubjectivité chez Fichte, Paris, Vrin, 1993.

[4]. Qu’il s’agisse d’interprètes aussi importants qu’H. Jacob, P.P. Druet, L. Pareyson, F. Masulllo ou A. Renaut.

[5]. Nous possédons deux traductions française de la Nova methodo, celle d’I. Radrizzani rassemblant les deux manuscrits (Lausanne, 1989), et celle d’I. Thomas-Fogiel, plus récente, en livre de poche (Librairie générale française, 2000).

[6]. Lettre du 31 janv. 1801 à un étudiant., G.A. III 5 p. 9. l’abréviation « G.A. » désigne la Gesamtausgabe de l’Académie de Bavière.

[7]. Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre publiée pour la première fois en 1794 (Leipzig, Gabler ; trad. fr. A. Philonenko, Les principes de la doctrine de la science dans Œuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980).

[8]. Rezension des Aenesidemus oder über die Fundamente der von dem Herrn Professor Reinhold in Jena gelieferten Elementar-Philosophie ; GA I, 2 ; trad. fr. P.P. Druet, Recension de l'Enésidème ou sur les fondements de la philosophie élémentaire enseignée à Iéna par M. le Prof. Reinhold dans Rapport clair comme le jour... et autres textes, Paris, Vrin, 1985.

[9]. Le concept de la Doctrine de la science (1794), trad. fr. L. Ferry et A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, 1ère section, § 2. La définition de la certitude ne sera plus formelle dans les textes ultérieurs, notamment parce que Fichte pourra partir d’une expérience du Moi, l’intuition intellectuelle qui, précisément, manque en 1794. Ainsi, dans le Système de l’éthique (1798, trad. fr. P. Naulin Paris, P.U.F., 1986), est certain ce qui s’accorde avec la forme du Moi pur ; cf. p. 163 : « le sentiment de la certitude est toujours un accord immédiat de notre conscience avec notre Moi originaire ».

[10]. Grundlage, § 3 D pt. 7, trad. fr. p. 34. Doit-on déjà apercevoir ici l’insuffisance de la méthode d’exposition choisie en 1794 ? Ou bien, en ne lisant plus seulement la Grundlage par distinction d’avec la Nova methodo, ne pourrait-on au contraire apercevoir, dans cette distinction hiérarchisée des tâches fondatrices, ce que les exposés ultérieurs reprendront sous la forme d’une séparation entre l’Absolu et le savoir ? La constitution du monde sera p.ex. rapportée au savoir, à la réflexion, élément de la conscience de soi, et non à l’Absolu.

[11]. Vers la fondation de l’intersubjectivité chez Fichte, Paris, Vrin, 1993, p. 92.

[12]. « Comparaison avec le compendium », suite au § 2 de la Nova methodo, p. 83 Radrizzani, p. 108 I. Thomas-Fogiel.

[13]. Doctrine de la science nova methodo, première introduction, trad. fr. p. 69 I. Thomas-Fogiel, p. 49 I. Radrizzani.

[14]. Seconde introduction à la Doctrine de la science, 1797, dont nous possédons deux traductions françaises, d’A. Philonenko in Œuvres choisies de philosophie première, (Paris, Vrin, 1980), et d’ I. Thomas-Fogiel in Nouvelle présentation de la Doctrine de la science (Paris, Vrin, 1999).

[15]. Dans le Système de l’éthique, la conscience de soi fait retour sur « l'intuition intellectuelle réelle <wirklichen> », « simple intuition de la spontanéité interne absolue, abstraction faite de la détermination de celle-ci », p. 50 trad. fr., GA I 5, p. 60 (nous soulignons).

[16]. Nova methodo, § 3 p. 89 trad. I. Radrizzani (Manuscrit Halle) : « la conscience immédiate n'est pas du tout une conscience, elle est un obscur acte d'autoposition dont il ne sort rien, une intuition sans qu'il ne soit intuitionné », GA IV 2, p. 45 : "Das unmittelbare Bewußtseyn ist gar kein Bewußtseyn, ein todtes sich selbst setzen, keine Anschauung". Dans le même sens, B. Bourgeois, L'idéalisme de Fichte (Paris, P.U.F., 1968), p. 55.

[17]. Henrik Steffens, Was ich erlebte, traduit par I. Radrizzani, Vers la fondation de l’intersubjectivité chez Fichte, Paris, Vrin, 1993, p. 81.

[18]. Nova methodo, p. 69 I. Radrizzani, 90 I. Thomas-Fogiel : « ce qui pense est l’être raisonnable, mais cet être pensant librement s’oublie ce faisant […] dans l’acte de penser l’objet, on disparaît en celui-ci, on pense l’objet, mais non pas que l’on est soi-même ce qui pense ».

[19]. C’est le sens, plus simple ici que chez Kant, du « Postulat » qui figure au début du premier paragraphe.

[20]. Déduction de la représentation (fin §4, pt. III).

[21]. Nova methodo, fin du § 1, p. 73 I. Radrizzani, p. 95 I. Thomas-Fogiel.

[22]. Nova methodo. § 4 p. 95 I. Radrizzani.

[23]. Nova methodo § 17, première moitié, p. 245 I. Radrizzani, I. Thomas-Fogiel p. 276  : « Le concept de fin vise une connaissance concrète déjà présente, à partir de laquelle on passe à un vouloir concret déterminé ».