Accueil>Ouvrages

Le Système de l’éthique (Fichte)

Paris, Ellipses, 2000 (64 p.).

L’éthique est pour Fichte la plus haute des sciences philosophiques, non seulement parce que les parties de la philosophie se rapportent toutes à l’exigence de réaliser ma liberté, mais surtout parce que le principe de l’éthique – la loi morale – n’est rien d’autre que cette exigence même, et se trouve ainsi, comme le souligne la dernière leçon de la Nova methodo, au plus près du principe de l’ensemble de la Doctrine de la science : le vouloir pur comme savoir absolu. L’étude ordonnée du Système de l’éthique permet donc d’aborder la philosophie de Fichte en retrouvant ses principaux aspects. La profondeur de la déduction fichtéenne de l’éthique, allant des premiers principes jusqu’aux actions concrètes, fait de la présentation de cet ouvrage l’indispensable apprentissage de la méthode démonstrative fichtéenne. Le plan de l’ouvrage, figurant à la fin de cette présentation, constitue de plus une aide précieuse pour situer chaque moment de l’ouvrage dans le cadre d’une explication de texte.

Table des matières :

PRÉSENTATION DU SYSTÈME DE L’ÉTHIQUE. Introduction: La raison pratique. 1. la loi morale ; 2. L’éthique comme système ; La liberté, principe théorique, Notre nature, La liberté dans la nature ; 3. L’action morale effective : La détermination à l’action ; Le monde des Hommes ; Les devoirs.

TEXTES COMMENTÉS : Conscience de soi et conscience de sa liberté, Système de l’éthique, ch. 1 § 3 ; Les devoirs du sujet, Système de l’éthique, Ch. II, § 18 ; La déduction de l’État, Système de l’éthique, Ch. II, § 18.

PLAN DU SYSTÈME DE L’ÉTHIQUE.

STRUCTURE DU SYSTÈME DE L’ÉTHIQUE.

Extraits.

Le Système de l’éthique (Fichte), Paris, Ellipses, 2000, in I. 3. L’action morale effective, Le monde des hommes, pp. 24-27

« Lorsque je m’engage dans la transformation pratique du monde, je suis en effet immédiatement confronté à un conflit de devoirs qu’il me faut dépasser. Il faut à la fois : “ 1) que je soumette à ma fin dernière absolue tout ce qui me limite ou, ce qui revient au même, tout ce qui se trouve dans le monde sensible, que j'en fasse un moyen de m'approcher de l'autonomie absolue ” ; et “ 2) que je ne soumette pas à ma fin certaines choses qui pourtant me limitent, puisqu'elles se trouvent dans le monde sensible, mais que je les laisse comme je les trouve ”[1]. “ certaines choses ”, c’est-à-dire les actions libres d'autrui, qui précisément transforme le monde au même titre que moi. Ce qui provoque la contradiction contient alors les moyens de son dépassement : il faut qu’autrui et moi-même agissions dans la même direction. Cette communauté de l’agir n’est pas seulement permise par ce qui nous commande d’agir, la raison en son universalité. Elle est requise par cette même raison pour laquelle je ne suis, en mon individualité, qu’instrument. La contradiction immanente à l’action individuelle souligne tout à la fois l’inanité d’une action qui se voudrait seulement individuelle et l’impérieuse nécessité de construire une action commune pour réaliser la raison en son universalité.

Autrui et moi-même devons donc poursuivre une fin commune, et le premier moment de l’agir, qui paraît encore n’être qu’un moyen, consiste donc en l’établissement d’un accord avec autrui quant cette fin commune ; il nous faut entrer en action réciproque, “ en vue d’acquérir des convictions pratiques communes ”. Et, puisque “ une telle action réciproque dans laquelle chacun est obligé de s’engager se nomme une Eglise […] Chacun doit être membre de l’Eglise ”[2]. L’Eglise désigne ici la communauté éthique. La communauté politique est de suite déduite, en tant qu’il ne faut pas seulement résoudre les contradictions de principe mais également celles qui sont issues de la mise en œuvre des libertés individuelles effectivement engagées dans la transformation pratique du monde sensible.

L’institution d’une communauté vient donc résoudre les conflits de devoirs naissant des rencontres interindividuelles. Mais les individus eux-mêmes ne disparaissent pas pour autant dans cette communauté, et ce qui était conflit de devoirs provoqué par les oppositions interindividuelles se déplace dans un face à face entre individu et communauté. Que ce soit face à l’Eglise ou à l’Etat, je dois toujours agir selon ma conviction personnelle. Cette dernière peut être contraire à la conviction commune (le symbole de l’Eglise), ou présumée commune (la majorité silencieuse de nos Etats de nécessité), et je ne saurai alors comment agir. Cette contradiction ne reçoit pas immédiatement de solution : dans la mesure où la conviction de connaître la volonté générale de la communauté reste individuelle, elle ne peut autoriser l’individu à renverser l’Etat que devant sa propre conscience[3]. L’apparente solution consistant à considérer le réel comme moyen de réaliser l’idéal et donc comme étant à perfectionner nous laisse dans l’ignorance des moyens à mettre en œuvre pour nous engager dans ce perfectionnement[4]. Il en va autrement de l’exigence consistant à parfaire – à “ former ”[5] - ma propre conviction. Je ne puis l’établir et l’affermir, la rendre plus juste, qu’en communiquant avec d’autres. Mais je ne dois pas faire connaître ma conviction privée “ si elle contredit la conviction que je dois supposer dans la communauté, car, à coup sûr, je travaillerais ainsi à la ruine de l’Etat ”[6]. La résolution de cette dernière contradiction consiste à instituer une petite communauté au sein de laquelle il n’y ait pas de “ symbole ”, et où la communication de sa conviction soit elle-même un devoir. L'institution de la communauté des savants vient donc résoudre les contradictions de la conscience morale. “ Pour la république des savants, il n'y a pas de symbole possible, pas de règle de conduite, pas de réserve ”[7]. La seule obligation commune est celle pour laquelle le public savant est institué : un “ devoir de conscience de communiquer à ce public savant les découvertes nouvelles que l'on peut faire ”[8]. “ Ainsi donc, l'idée d'un public savant est absolument la seule à résoudre le conflit qui oppose une Eglise établie et un Etat à la liberté de conscience absolue des individus et, par suite, la réalisation de cette idée est commandée par la loi morale ”[9].

De ce fait, la communauté des savants résout deux contradictions d’un coup. Je puis établir et affermir ma conviction sans m’opposer à autrui, et je puis également envisager une transformation du réel vers l’idéal, des Etats de faits vers des Etats de raison. La petite communauté que représente la cité des savants joue le rôle d’une communauté intermédiaire entre le réel et l’idéal en participant au devenir de la grande communauté, en éclairant le peuple. Fichte est coutumier de cette figure consistant à instituer des communautés intermédiaires pour pallier les insuffisances de la grande ; le deuxième des Discours à la nation allemande institue une petite communauté éducative et L’Etat commercial de 1800 est fermé pour construire une économie rationnelle. »



[1]. Ibid, p. 220.

[2]. Ibid, p. 225.

[3]. Ibid, p. 229. On se tromperait en ne voyant pas dans cet appel à la conscience individuelle une restriction. Même si Fichte ne condamne pas ici tout esprit révolutionnaire, il ne l’encourage pas non plus. Celui qui se croit en conscience autorisé à renverser l’Etat agit comme ces “ éphores naturels ” qui, dans les Fondements du droit naturel (p. 196), fomentent une révolution mais doivent ensuite attendre l’expression de la communauté pour connaître la justesse de leur entreprise. Rien ne relève ici d’un commandement morale car rien ne peut être décidé a priori, et, comme dans les Considérations […] sur la révolution française (p. 86), il nous faut attendre l'événement “ pour appeler un brigand héros ou meurtrier ”.

[4]. La déportation de l’idéal n’a toujours pour effet que d’interdire toute transformation effective. Même si ce n’est pas ce que critique Fichte, nous pouvons remarquer qu’il n’en reste pas à la première position humaniste d’un idéal ineffectif.

[5]. Ibid, p. 234.

[6]. Ibid, p. 235.

[7]. Ibid, p. 238.

[8]. Ibid, p. 237.

[9]. Ibid, p. 240.