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Fichte. Philosophie pratique.

Conférence prononcée à l’École Normale Supérieure de Fontenay le 4 décembre 1999.

Introduction.

Le titre de mon intervention se voulait tout d’abord un simple thème résumant mes intérêts et travaux antérieurs. Puis, besogneux, je me suis mis à faire varier les significations de ce thème devenu un sujet, trois principales significations de « la philosophie pratique de Fichte » sont apparues : (1) un exposé de la partie pratique de la philosophie de Fichte ; (2) un exposé destiné à montrer comment Fichte produit l’unité de la philosophie par le pratique, jusqu’à (3) montrer que l’ensemble de la philosophie de Fichte est pratique, voire que l’unité de l’œuvre de Fichte se comprend à partir du point de vue pratique.

La première signification nous entraîne d’emblée vers la deuxième : même si on ne fait qu’exposer la partie pratique de la philosophie fichtéenne, il faut bien la déterminer et se demander ce qui est pratique dans cette philosophie. C’est la première partie de mon intervention.

Face à la question de savoir si tout n’est pas pratique dans cette philosophie, on passe de la situation de la philosophie pratique à l’unité de la philosophie par le pratique, c’est la deuxième partie de mon intervention.

Et cette question de l’unité de la philosophie par le pratique resurgit dans la Doctrine de la science constituée, libérée de ses relations trop étroites avec le postkantisme, i.e. à partir de la Nova methodo[1]. La Doctrine de la science se présentera comme unité dépassant l’opposition des philosophies particulières  : le troisième moment de l’intervention attribue au pratique cette unité de la Doctrine de la science. Et si l’on m’accorde cela, pourquoi ne pas aller plus loin, et dire qu’il n’y a plus lieu de découper l’œuvre en plusieurs époques mais que la dimension pratique rend raison de son unité chronologique ? Voire de l’unité de son « esprit » ? Là, je n’indique pas encore la réponse.

I. Ethique et philosophie pratique.

L’exposition de la partie pratique de la philo de Fichte est la première signification obvie du titre. Mais aussi la première difficulté, puisqu’il faut au moins pour cela situer la philosophie pratique dans l’œuvre de Fichte. On peut recenser[2] les œuvres de morales, de politique au double sens d’une philosophie politique et d’une philosophie du politique (des Contributions[3] au Caractère de l’époque actuelle[4]), mais si on définit l’unité de toutes ces œuvres comme participation à la réalisation de la moralité dans le monde, alors on est bien près de rejoindre la définition de la philosophie dans son ensemble[5]. Comment ? On peut comprendre le pratique en général dans le sillage kantien comme « ce qui est possible par liberté »[6]. Mais à partir de là on peut comprendre le pratique fichtéen en un sens moral, ou en un sens plus large qu’indiquait Fichte lui-même en définissant le pratique comme ce que l’on pt déduire de la fonction constitutive du vouloir[7]. Si l’on rapproche cette définition du pratique et la fonction du vouloir dans des exposés comme celui de la Nova methodo, on en vient rapidement à qualifier de pratique l’ensemble de la philosophie fichtéenne. Et Fichte lui-même nous encourage dans cette voie, écrivant à Reinhold, en 1800 : « Mon système n’est, du début à la fin, qu’une analyse du concept de la liberté »[8].

Il existe pourtant bien une science particulière du pratique, l’éthique, définie comme telle en 1798[9], et des ouvrages qui lui sont est consacré, les deux Système de l’éthique. La liberté comme autonomie de la raison devant être réalisée dans le monde, elle s’y réalise dans et par un agir individuel. Et ce point de vue de l’agir individuel (en général) constitue la spécificité de l’éthique comme science philosophique particulière. La particularité de l’éthique prendrait donc naissance dans la libre décision de considérer plus particulièrement la détermination de l’individu réalisant la raison en général, et il pourrait bien y avoir là constitution d’une science particulière, conformément aux indications du Concept de la Doctrine de la science de 1794[10], § 5 : la Doctrine de la science laisse libre l’application particulière de ses principes, et en s’engageant dans ces voies la réflexion constitue les sciences particulières.

Mais même lorsqu’on comprend la doctrine éthique dans sa particularité, elle reste très proche des plus hauts principes. Elle se rattache immédiatement au fondement de toute la Doctrine de la science. Et c’est pour cela que Fichte affirme qu’elle occupe la plus haute place entre les parties de la philosophie : « L’éthique se situe au-dessus de toute science philosophique particulière (donc aussi au-dessus de la doctrine du droit) »[11]. En effet les actions effectives sont ici déduites continûment[12] à partir de la conscience de soi. La doctrine éthique se situe au-dessus de toute science philosophique particulière parce qu’elle découle en droite ligne de la conscience de soi et de la recherche de ses conditions. Elle est en quelque sorte « plus génétique » qu’une science particulière puisque son objet – la réalisation de la liberté – ne dépend plus d’une libre décision de considérer tel ou tel aspect de la vie de l’esprit, mais seulement de la décision d’approfondir un moment du développement de la raison. L’éthique serait alors le pendant du Grundriß[13], et pourrait être appelée « Précis de ce qui est propre à la Doctrine de la science au point de vue pratique ».

II. L’unité de la raison et l’effort pratique.

Encore faudrait-il qu’il y ait un point de vue pratique comme il y a un point de vue théorique. Qu’en est-il si toute la philosophie est pratique ? « Ce qui est pratique est agir en général, or l’agir se présente constamment, tout au long des Principes, étant donné que c’est sur lui que repose tout le mécanisme de la raison »[14]. Peut-on conserver une si haute place à l’agir moral ? Et il ne suffit pas de distinguer un pratique au sens large, qui désignerait l’agir en général, comprenant alors la Thathandlung, l’effort intellectuel, etc., d’une part, et un agir au sens strict, engageant une transformation effective de la nature. C’est en tant que science de l’agir au sens strict que l’éthique se rattache au plus haut principe, et le plus haut principe lui-même devrait ne pas être étranger à cet agir au sens strict.

La philosophie serait alors tout entière pratique, et le pratique, compris comme devant toujours avoir en vue l’agir moral, serait l’unité de la philosophie. Comprenons tout d’abord l’unité de la philosophie comme dépassement de la séparation kantienne entre le théorique et le pratique. Cette découverte est essentielle à la Doctrine de la science, et la Doctrine de la science commence à se constituer lorsqu’elle situe quelque chose de pratique à l’origine du théorique[15], puis arrive à maturité lorsqu’elle ne sépare plus le pratique du théorique, avec la Doctrine de la science nova methodo[16]. L’existence d’une raison pratique ne fait plus alors qu’un avec l’unité de la raison ; c’est la voie choisie par Fichte : pour démontrer que la raison pratique existe bien, il fallait montrer « que la raison elle-même ne peut pas être théorique si elle n'est pas pratique ; qu'aucune intelligence n'est possible en l'homme, s'il ne possède pas un pouvoir pratique et que c'est sur celui-ci que la possibilité de toute représentation se fonde »[17]. Cet originairement pratique est l’activité pure du Moi, qui devient effort en rapport à l’activité objective du Moi – celle qui constitue les représentations – effort sans lequel nous n’irions à la rencontre d’aucun objet ni ne pourrions subir aucun choc.

Nous sommes toujours là dans un seul et même sens de « pratique », sinon agir moral, du moins visant l’agir moral. Le rapport entre la raison pratique comme éthique d’une part et ce qui est originairement pratique de l’autre est explicite lorsque Fichte reprend l’impératif catégorique kantien. Au § 5 de la Grundlage, il rapporte le Moi intellectuel – celui qui réfléchit le choc et constitue les représentations – au Moi pur ou absolu. C’est à ce propos que Fichte écrit, « Impératif catégorique de Kant. S'il est un passage où il est bien clair que Kant a posé comme fondements de sa démarche critique, mais de façon implicite seulement, les prémisses qu'établit la Doctrine de la science, c'est bien celui-ci. Comment aurait-il pu parvenir à un impératif catégorique, comme postulat absolu d'un accord avec le Moi pur, s'il n'avait présupposé un être absolu du Moi par lequel toute chose serait posée ? »[18].

Ici donc l’impératif catégorique équivaut à l’exigence d’un accord avec le Moi pur. Ce Moi pur n’est pas autre chose que le Je pense kantien[19] ; rechercher un accord avec le Moi pur signifie alors rechercher un accord avec ce qui en Moi est unité. Mais, et à la différence du « Je pense » kantien, il n’est plus seulement fondement de la partie théorique, il a aussi une fonction pratique. Je me rapporte à cette pure réflexivité comme à moi-même, comme étant moi-même, mais sur le mode du devoir être : je dois chercher à dépasser ma finitude, à réaliser mon autonomie. Ce qui veut dire : mon autonomie est la réalisation de mon identité comme pure réflexivité. Il faut faire « correspondre », sur le mode du devoir être – c’est-à-dire en distinguant le Moi dont part la Doctrine de la science et le Moi absolu comme idée à réaliser – la réflexivité première du Moi pur et l’idéal d’autonomie du Moi empirique. Le dépassement de la distinction kantienne entre deux domaines de la rationalité, ou l’unité des parties théorique et pratique de la philosophie, est réalisée par le pratique, qui fonde l’exercice théorique de la raison, et le parachève en me commandant de me rapporter au Moi pur, de devenir autonome.

III. L’unité de l’oeuvre fichtéenne.

Pourrions-nous répondre alors, avec cette conclusion, à la question de notre première partie sur la situation de l’éthique ? Grâce à l’unité pratique de la philosophie, l’éthique serait un moment d’une philosophie tout entière pratique, et l’originalité de ce moment par rapport aux autres parties de la philosophie se caractériserait par le fait que l’on retrouve dans la déduction de l’éthique l’ensemble des parties de la philosophie. Mais comment les retrouverait-on ? Retrouverait-on les parties de la philosophie comme dans chacun des quatre points de vue des sciences philosophiques particulières[20], avec la teinte propre de ce chaque point de vue ? Ou retrouverait-on dans l’éthique les autres parties de la philosophie telle qu’elles sont en elles-mêmes, comprenant leur rapport au premier principe de la Doctrine de la science ? On pourrait penser que le point de vue de l’éthique n’impose pas trop de déformations à la philosophie du droit, une fois que la priorité chronologique de l’édition, voire que la priorité chronologique du monde juridique comme condition du moral, n’est plus confondue avec une priorité logique qui n’a jamais appartenu au droit. L’éthique rapporte aussi la philosophie théorique au premier principe en montrant comment la détermination du monde est enveloppée par l’exigence de l’agir[21].

Mais ce qui peut être vrai pour les points de vue inférieurs, le droit ou la philosophie théorique, ne l’est plus pour la religion. Il nous faut donc laisser l’éthique à une place déterminée, et repenser le statut du pratique à l’aide du rapport des deux 2 points de vue supérieurs, morale et religion.

La question de l’unité de la Doctrine de la science ne se situe pas en effet au niveau des deux premiers points de vue : réalisme dogmatique, qualitatif, et idéalisme tout aussi dogmatique qui donnera, à partir du sujet, le point de vue du formalisme juridique ou de la morale kantienne telle que condamnée par Fichte. La question de l’unité de la Doctrine de la science concerne le rapport des deux points de vue supérieurs, moralité supérieure et religion. Et là il peut paraître difficile, à cause du statut théorique et contemplatif de la religion[22], de continuer à voir dans le pratique l’âme de la philosophie fichtéenne.

Mais la religion est présentée en deux moments qui ne peuvent pas être dits théoriques au même sens. Le premier moment de la religion, ce que Fichte appelle dans les Grundzüge la religion de la raison, pour être théorique et contemplatif, n’est pas un savoir, la religion n’a ici aucune compréhension du comment, sinon de son rapport à Dieu, du moins de la façon dont elle peut le manifester. Le savoir de soi comme manifestation de Dieu appartient toujours à la religion, mais à un second moment, compréhension du daß et du wie, "religion de l'entendement" comprenant "comment et de quelle façon le phénomène... est développement d'une vie supérieure"[23]. C’est dans ce savoir de soi comme existence ou manifestation de Dieu que la religion retrouve l’action et rejoint la vie morale[24]. Cette réunion de la morale et de la religion s’opère dans le 5ème point de vue, celui de la Doctrine de la science.

L’unité de la Doctrine de la science s’effectue finalement sinon dans l’éthique du moins dans le pratique, en comprenant « finalement » au sens de l’achèvement logique du système. On pourrait aussi comprendre « finalement » au sens chronologique d’une élaboration de la Doctrine de la science tout au long de la vie de Fichte. C’est le sens d’un article de José Manzana[25] reprenant les derniers textes et rapprochant l’injonction éthique de la dernière définition de la Doctrine de la science comme doctrine de la manifestation (Erscheinungslehre[26]), c’est-à-dire, en continuité avec l’Anweisung : se savoir image de l’Absolu suppose que nous manifestions effectivement l’Absolu.

Mais ce n’est pas seulement comme clef de voûte que le pratique constituerait l’unité de la Doctrine de la science, c’est comme fil conducteur, et contrairement aux interprétations qui scinde la philosophie de Fichte en une période morale et politique d’une part et une période métaphysique de l’autre. Parmi les constructions auxquelles ont donné lieu les différences d’exposition de la Doctrine de la science, c’est l’interprétation de M. Gueroult qui est ici la plus dangereuse puisqu’elle inscrit l’hypothétique coupure dans le cœur de la Doctrine de la science, dans l’installation d’un Absolu actuel, qui ne serait donc plus seulement idéal, posé à l’infini de l’action. Mais il est possible de reprendre la Destination de l’homme, ouvrage sur lequel s’appuie l’interprétation de M. Gueroult, pour y voir l’exposition de la Doctrine de la science du point de vue de la religion, sans qu’il y ait là négation de la perspective pratique, tant parce qu’il s’agit de la reconstruction de la Doctrine de la science à partir d’un point de vue, que parce que ce point de vue lui-même appelle la pratique. Et la façon même dont la Destination de l’homme installe le sujet dans un monde intelligible ne récuse pas l’action, bien au contraire. Ainsi la distinction entre les mondes et les ordres : l’idée d’un ordre enveloppe une hiérarchie, une disposition appelant à l’agir. Cette conception traverse toute l’œuvre, on la retrouvera en 1806[27], jusqu’aux Reden[28], voire au-delà, en 1811, dans les Cinq leçons sur la destination du savant : « En elle-même et par elle-même, l'image divine est continuellement créatrice […] le monde sensible garde donc, et continue éternellement à posséder le caractère que nous lui avons attribué plus haut : être exclusivement la condition de visibilité du monde suprasensible […] comme un monde en éternel développement »[29]. Le Moi fini peut alors, dans et par son activité, participer à la Vie de l’Absolu.

Conclusion.

Mais cette Erscheinungslehre qui nous engage à l’action nous commande aussi de nous connaître comme une simple image ou manifestation de l’Absolu, et de nous distinguer de l’Absolu lui-même. Il nous faudrait alors, après avoir isolé l’éthique dans le pratique, scinder à nouveau la signification du pratique en agir pur, Vie Absolue, d’une part, et agir effectif, « moral-religieux » d’autre part. L’homme vraiment religieux n’accompli plus l’effort vertueux[30], mais il sait que son agir ne peut le rapporter immédiatement à l’Absolu, et qu’il ne peut pas déduire son agir de l’Absolu, pas plus que le philosophe ne peut en déduire sa philosophie. Cf. sur ces points le chapitre deux de la Philosophie fichtéenne de la vie de J.C. Goddard, p. 47 « la fidélité de Fichte au criticisme kantien se concentre tout entière dans l’exclusion d’un savoir de l’Absolu qui produirait, au-delà du seul fait de sa manifestation, la démonstration spéculative de la nécessité pour l’Absolu de se manifester »[31]. Je conclurai alors en m’interrogeant sur les nuances à apporter à ce statut fondamental du pratique. Faut-il se contenter de cette séparation entre l’agir pur et l’agir effectif du sujet, entre l’Absolu et sa manifestation, pour renvoyer la philosophie de Fichte au criticisme, c’est-à-dire au XVIIIe. Ou bien peut-on privilégier l’unité de sens de l’agir et rapporter les actes des individus en communauté à la construction du savoir philosophique et à la manifestation de l’Absolu ? Fichte articule-t-il le XVIIIe et le XIXe, ou n’est-il que cet opiniâtre kantien qui se heurte à l’affirmation de l’Absolu que lui impose brutalement Schelling ?



[1]. Wissenschaftslehre Nova methodo, 1796 / 1799, trad. fr. Doctrine de la science nova methodo, I. Radrizanni, Lausanne, l’Age d’homme, 1989 & I. Thomas-Fogiel, Paris, Librairie générale française, 2000.

[2]. Compteraient bien sûr parmi les ouvrages de philosophie pratique les deux Sittenlehre, 1798 et 1812, d’ailleurs proches l’une de l’autre. Mais il faudrait aussi adjoindre, comme cela a d’ailleurs lieu dans le développement de l’éthique elle-même, le politique : il faut alors inclure non seulement le Droit Naturel de 1796, mais aussi la Rechtslehre & la Staatslehre de 1812 & 1813. Mais pourquoi alors ne pas dire mot des passages concernant l’État dans les Grundzüge de 1806, passages critiques qui ne sont pas sans rappeler certaines attitudes révolutionnaires de 1793 ? Ce serait certainement une erreur que d’exclure de la philosophie pratique la philosophie proprement politique, je veux dire par là non pas seulement la philosophie politique au sens académique d’une philosophie du droit, mais la philosophie du politique, celle qui envisage le politique réel et non la construction théorique de l’État idéal. La philosophie du politique qu’il faudrait inclure dans la philosophie pratique envisage le politique réel comme moyen de réaliser l’État de raison, État de raison qui est lui-même condition de la réalisation du monde moral. La philosophie du politique envisage donc la transformation pratique du politique. Le simple exposé de la philosophie pratique nous jette donc d’emblée par l’étendue du sujet dans la philo de Fichte vers la question de ses limites. Qu’est-ce qui n’est pas pratique dans la philosophie de Fichte ?

[3]. Beitrag zur Berichtigung der Urtheile des Publikums über dir französische Revolution, 1793 ; Meiner, Hamburg, 1973 ; trad. fr. J. Barni, Considérations sur la révolution française, Paris, Payot, coll. Critique de la politique, 1974.

[4]. Die Grundzüge des gegenwärtigen Zeitalters, 1806 ; Hamburg, Meiner, 1956 ; trad. fr. I. Radrizzani, Le caractère de l'époque actuelle, Paris, Vrin, 1990.

[5]. Jusqu’à rejoindre la philosophie de la religion : cf. la Doctrine de la science Nova methodo : "...la philosophie de la religion est celle du postulat que la philosophie pratique adresse à la philosophie théorique, à la nature qui est censée, par une loi suprasensible, s'adapter à la fin de la moralité. Déduire ce postulat et l'expliquer appartient à la Doctrine de la science, mais appliquer ce postulat dans la vie ne ressort plus de la Doctrine de la science mais forme une partie pragmatique de la philosophie et appartient à la pédagogie, sensu latissimo". ("sensu latissimo", manuscrit Krause, ou "im höchsten Sinne des Worts" manuscrit Halle, GA IV 2 p. 265, p. 307/308fr). Sur cette signification de « pédagogie », v. également Destination de l’homme, Avant-Propos.

[6]. Critique de la raison pure, Canon 1ère Section, p. 540 trad. Tremesaygues et Pacaud, Ak III 520 « Est pratique tout ce qui est possible par liberté ».

[7]. Cf. GAIII2, 92, A Böttiger, avril 1794. Cité par R. Lauth in « Genèse du « Fondement de toute la Doctrine de la science » à partir des Méditations personnelles sur l’Elementar philosophie » in Archives de philosophie 34, 1971, p. 51-79.

[8]. Cf. R. Lauth. in « Le progrès de la connaissance dans la première Doctrine de la science ». Cahiers de philosophie – Fichte, le bicentenaire de la Doctrine de la science. Actes du colloque de Poitiers. Octobre 1994 – Lille – N°Printemps 1995 (avril).

[9]. Dans le texte adjoint à la Nova methodo sur les divisions de la Doctrine de la science, Fichte distingue l’agir individuel, puis l’agir individuel en tant qu’il vise une fin universelle, et écrit alors « si l’on ne prête attention qu’à l’universel, il naît la Doctrine de la science du pratique qui devient en particulier éthique ; c’est-à-dire que ce qui est pratique est agir en général, or l’agir se présente constamment, tout au long des Principes, <étant donné que c’est sur lui que repose tout le mécanisme de la raison> c’est pourquoi la science particulière du pratique ne peut être qu’une éthique. Celle-ci enseigne comment le monde doit être fait par des êtres raisonnables » Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science, in Doctrine de la science Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 306.

[10]. Ueber den Begriff der Wissenschaftslehre oder der sogennanten Philosophie, 1794 ; SW I ; trad. fr. L. Ferry et A. Renaut, Sur le concept de la Doctrine de la science ou de ce qu'on appelle philosophie in Essais philosophiques choisis, Paris, Vrin, 1984.

[11]. Das System der Sittenlehre nach den Prinzipien der Wissenschaftslehre, 1798 ; Hamburg, Meiner 1963 ; trad. fr. P. Naulin, Le système de l'éthique selon les principes de la Doctrine de la science, Paris, P.U.F., 1986¸§ 18 pt. 3, p. 209 de la trad. de P. Naulin. On peut certes en dire autant de la religion, mais pas de la même manière : lorsque Fichte écrit que la philosophie de la religion est le plus haut point de vue, il la désigne encore en tant que point de vue, cf. J. C. Goddard, dans son commentaire de l’Assise, Paris, Ellipses, 1999 ; p. 10/11. Cf. également M. Gueroult Études sur Fichte, p. 131, reprenant sa préface à l’Initiation à la vie bienheureuse, Paris, Aubier Montaigne, 1944, p. 70/71, pour la première interprétation de la situation de la religion dans l’Anweisung. Mais une seconde interprétation, engagée par M. Gueroult, reste possible, dans laquelle la religion rejoint le point de vue générale de la Doctrine de la science, et par là également, la moralité supérieure. Par distinction d’avec la religion, le pratique au sens moral peut être présenté comme immédiatement génétique, en faisant l’économie du moment factuel propre à la particularité de chaque point de vue comme tel.

[12]. Ce qui n’est pas le cas dans la philosophie du droit, puisque la nécessité de l’existence d’une communauté humaine relève de la déduction morale. Cf. Grundlage des Naturrechts nach Principien der Wissenschaftslehre, 1796/1797 ; Hamburg, Meiner, 1979, trad. fr. A. Renaut, Fondements du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science Paris, P.U.F., 1984, introduction, point 4.

[13]. Grundriß des Eigenthümlichen der Wissenschaftslehre in Rücksicht auf das theoretische Vermögen, 1795 ; GA T. I, 3 ; trad. fr. A. Philonenko, Précis de ce qui est propre à la Doctrine de la science au point de vue de la faculté théorique dans Oeuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980.

[14]. Déduction des subdivisions de la Doctrine de la science, in Doctrine de la science Nova methodo, trad. I. Radrizzani, p. 306.. Cf. ci-dessus note 9 p. 3.

[15]. Cf. l’écrit de 1794, Praktische Philosophie (GA II 3) où Fichte se demande : « ce qui est inconditionnellement nécessaire dans la philosophie théorique ; la limite absolue qui est admise, etc., n’est-ce pas peut-être déjà quelque chose de pratique et qui n’a été admis dans la philosophie théorique par Kant (et par moi à sa suite) que par une erreur ? ». Cité par R. Lauth in Genèse du « Fondement de toute la Doctrine de la science » à partir des « Médiations personnelles sur l’Elementar philosophie » in Archives de philosophie 34, 1971, p. 70. Cf. dans le même article, p. 73, où R. Lauth commente le § des Méditations personnelles dans lequel Fichte écrit « triomphe ! triomphe ! » lorsqu’il découvre que la limitation s’explique en fait par une activité du Moi. Sur ce point également : I. Thomas-Fogiel, p. 14 de son intro aux Méditations personnelles, Paris, Vrin, 1999.

[16]. Cf. les renvois vers le « compendium », suite §6 : « la division en partie théorique et partie pratique qui était opérée dans le livre disparaît ici » (p. 113 de la trad. d’I. Radrizzani).

[17]. Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, 1794 ; Meiner, Hamburg, 1979 ; trad. fr. A. Philonenko, Les principes de la doctrine de la science dans Oeuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980, § 5, p. 135.

[18]. Grundlage, p. 132fr, Meiner p. 178, GA I 2, p. 396.

[19]. Pour Fichte au moins, cf. Seconde introduction (Erste und zweite Einleitung in die Wissenschaftslehre, 1797 ; Meiner, Hamburg, 1961 ; trad. fr. A. Philonenko, Première et seconde introductions à la Doctrine de la science dans Oeuvres choisies de philosophie première, Paris, Vrin, 1980), VIe section.

[20]. Points de vue ou sciences particulières présentés comme tels dans la dernière Conférence de 1804.

[21]. C'est à l'occasion de la distinction entre organe supérieur et inférieur que Fichte décrit le processus empirique de la sensation comme reproduction, imitation intérieure de l'objet – cf. le Fondement du droit naturel, p. 80 de la trad. fr., GA I 3, p. 368., puis déduit l’air et la lumière afin d'opposer l'action réciproque entre êtres libres à la simple contrainte. La matière même, « résistante et consistante, capable de faire obstacle au mouvement libre de mon corps » (Fondements du droit naturel, p. 83 de la trad. fr., GA I 3, p. 370) est déduite comme condition d’exercice de ma causalité. A chaque pas fait dans la détermination plus précise de mon rapport à autrui, le monde sensible est en même temps déterminé : « Parce que dans le monde des êtres libres comme tels doivent exister en communauté, le monde, pour cette raison, doit nécessairement être structuré de telle façonné » (Fondements du droit naturel, p. 87 de la trad. fr., GA I 3, p. 374. Sur tous ces points, L. Vincenti, Pratique et réalité, chapitre six.

[22]. La "vraie religion" semble être toute intérieure ; "elle n'apparaît pas du tout dans les phénomènes et ne pousse nullement l'homme à faire quoi que ce soit qu'autrement il n'aurait pas fait"(Le Caractère de l’époque actuelle, 16ème Leçon, p. 233fr, GA I 8 p. 279) ; elle "n'est rien d'extérieur et ne se manifeste sous aucun phénomène : elle accomplit l'homme d'une façon uniquement intérieure"(Ibid., 17ème Leçon, p. 251fr, GA I 8 p. 394)>.

[23]. Le Caractère de l’époque actuelle, 17ème Leçon, p. 245fr, 252 Meiner, GA I 8 p. 388.

[24]. "La vraie et authentique religion n'est pas purement contemplative et spéculative, ne se contente pas de méditer sur de pieuses pensées, mais est nécessairement active. Elle consiste, comme nous l'avons vu, à avoir intimement conscience que Dieu en nous vit réellement et est actif et accomplit son œuvre. S'il n'y a pas en nous de vie véritable, s'il n'émane de nous aucune activité, aucune œuvre qui paraisse, Dieu non plus n'agit pas en nous. Notre conscience d'être unis à Dieu est dès lors illusoire et nulle, l'ombre vide d'un état qui n'est pas le nôtre ; peut-être comprend-elle en général, mais de façon morte, que chez d'autres est possible et peut-être réel un tel état, auquel pourtant nous n'avons pas la moindre part", Anweisung zum seligen Leben, 1806 ; Hamburg, Meiner, 1954 ; trad. fr. M. Rouché, Initiation à la vie bienheureuse, Paris, Aubier Montaigne, 1944, , 5e Conférence, p. 179 de la trad. fr. La religion manifeste la vie divine - "que dans l'activité de chaque individu apparaisse seulement la forme prise en lui par l'essence divine", Anweisung, 9e Conférence, p. 251fr, 149 Meiner.> - mais ne peut être ce qu'elle sait, faire ce qu'elle dit, qu'en s'accomplissant en une vie morale. Cf. L. Vincenti, Pratique et réalité, chapitre quatre, fin.

[25]. J. Manzana, « L'unité de la doctrine du savoir et de la philosophie pratique dans la dernière pensée de J.G. Fichte », in Revue de métaphysique et de morale, N°3, Paris, 1981.

[26]. Cf. Thatsachen des Bewusstsein, SW IX 564.

[27]. Dans les Dialogues patriotiques & l’Anweisung.

[28]. Reden an die deutsche Nation, 1808 ; Hamburg, Meiner, 1978 ; Discours à la nation allemande trad. A. Renaut, Imprimerie nationale, 1992, 3e Discours, p. 107, et trad. fr. de J. Molitor, Paris, Alfred Costes, 1923 p. 43-44 : "La vie divine sur laquelle repose tout phénomène n'interviendra donc jamais sous les apparences d'un être existant donné, mais comme une entité qui est dans le devenir ; et quand cette entité s'est réalisée, le même processus se renouvelle incessamment". Également, en des termes rapportant explicitement la loi morale à l'idée divine, manifestation de l'Absolu, Sur l'essence du savant..., p. 377/378fr, GA I 8 p. 76 : "[la vie divine] ne pouvait apparaître et se manifester dans le temps autrement que […] comme une législation concernant la vie qu'elle a posée elle-même comme vie, et à laquelle on ne peut retirer l'autonomie sans lui retirer par là même la racine de la vie ; donc […] elle ne pouvait se manifester et se présenter que comme loi divine concernant la liberté, ou comme loi éthique".

[29]. Cinq conférences sur la destination du savant, (SW XI ; trad. fr. J.C. Merle, Cinq Conférences sur la destination du savant dans Opuscules de politique et de morale, Caen  p. 69fr.) : « En elle-même et par elle-même, l'image divine est continuellement créatrice […] le monde sensible garde donc, et continue éternellement à posséder le caractère que nous lui avons attribué plus haut : être exclusivement la condition de visibilité du monde suprasensible. Plus haut, nous l'entendions ainsi : ce n'est que par ce moyen, sous ce caractère formel qui est le sien, qu'un monde suprasensible quelconque est visible. maintenant, nous l'entendons ainsi : ce n'est que par ce moyen, sous ce caractère, qu'il est visible, comme un monde en éternel développement ».

[30]. Cf. Le caractère de l’époque actuelle, fin de la 17ème et dernière Leçon.

[31]. J.C. Goddard, La philosophie fichtéenne de la vie, Paris, Vrin, 1999, p. 47.