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L’idée de bonheur dans la pensée de Rousseau

In A. Schnell (dir.). Le bonheur, Paris, Vrin, 2006 (coll. Thema) pp. 79-101.

Texte intégral

Le bonheur est à la fois un état (qualitatif) et un maximum (quantitatif), une durée persistante et un moment (apogée), ce qui semble contradictoire en soi. Cette double détermination permet tout d’abord de distinguer le bonheur du plaisir : le bonheur « ne consiste pas dans une modification passagère de l’âme, mais dans un sentiment permanent »[1]. Cette distinction d’avec le plaisir est importante pour définir le bonheur : ainsi le maximum de satisfaction ou de jouissance peut-il se trouver, en termes de bonheur, dans une époque où précisément aucun moment ne détonnera, mais où les sensations agréables et douces perdureront sans que rien ne vienne les troubler[2]. Ici le bonheur est plus proche de la paix que du plaisir, d’une paix certes liée à la satisfaction, mais qui peut aussi bien n’être qu’apaisement ou absence de trouble, et nous retrouverions là les aspects stoïciens et épicuriens de l’œuvre rousseauiste.

Cette double détermination du bonheur, comme acmé et comme état, fait aussi la difficulté de sa définition. L’inscription de Rousseau dans l’histoire de la philosophie et de la pensée chrétienne éclaire l’ambiguïté première. Ainsi la reprise du thème aristotélicien – tout homme veut être heureux[3] – acquiert-elle un sens nouveau, toujours lié à la réalisation d’une nature, mais dans un devenir orienté par le dualisme métaphysique que Rousseau, chrétien, manifeste contre l’irréligion des Lumières. Que tout homme veuille être heureux signifie alors qu’il cherche à se rendre plus parfait, en rapportant le corps à l’âme, non pour le nier, mais, dans un sens augustinien[4] puis malebranchiste, pour donner sens à ses propres désirs en ne les retenant plus dans le monde des corps : « Tous les hommes veulent donc être heureux et parfaits, ou si l’on ne veut pas distinguer le bonheur de la perfection, parce qu’en effet le vrai bonheur en est inséparable, tous les hommes veulent invinciblement être heureux. Le désir de la béatitude formelle ou du plaisir en général, est le fond ou l’essence de la volonté, en tant qu’elle est capable d’aimer le bien »[5]. Le mouvement même qui oriente le corps vers l’âme définit une nature nouvelle, « l’essence de la volonté ».

Il y a donc deux choses : d’une part un dualisme, que l’on peut concevoir comme une juxtaposition de deux modalités d’existence, ou de deux « états », d’autre part une continuité, passage d’un état à l’autre, dépassement du premier état vers un état plus parfait. Le dépassement est la vérité de l’état : le mouvement qui oriente le corps vers l’âme définit ma nature, c’est ce que j’ai appelé, dans un texte antérieur[6], l’identité dynamique de la nature humaine. Ce mouvement qui définit ma nature s’accompagne d’un sentiment d’identité. Ce sentiment est lié à ce dépassement, et non à un état. Le bonheur parfait que Rousseau éprouve à l’Île Saint Pierre accompagne un sentiment d’existence conquis au terme d’un processus d’isolement, de dépouillement[7] et d’abandon qui ne lui laisse que bien peu d’attaches dans le monde des corps et bien peu de matière pour définir un quelconque état. Posons comme hypothèse que le bonheur est lié au sentiment d’existence, lorsque ce sentiment exprime l’identité dynamique d’une nature qui s’accomplit en se perfectionnant.

Certes il ne s’agit plus, dans les extases rousseauistes, d’un processus, mais de son terme, et nous retrouverions plutôt là un état qu’un dépassement. Mais le terme de ces dépassements se situe en dehors de tout état à dépasser : nous ne sommes plus dans le temps mais dans l’éternité. La dialectique de la perfection et de l’état s’achève donc dans un état de perfection qui est négation de la dialectique elle-même parce qu’il dépasse l’ensemble du processus comme tel.

Mais quoi ? Faudrait-il refuser alors tout bonheur à qui demeure dans les vicissitudes humaines ? Les extases de Rousseau lui-même, le bonheur du vicaire[8], ne sont-ils pas déjà le plus manifeste contrexemple à qui ne pourrait imaginer de bonheur que dans l’au-delà ? Que dire de l’homme sauvage, d’Émile, des fêtes républicaines ? Les moments de bonheur qui ponctuent l’œuvre ne seraient-ils que des tableaux illusoires ? Non : qu’il y ait un terme aux dépassements successifs de chaque état par un état plus parfait, ne signifie pas que les moments de ce perfectionnement n’aient pas de valeur pour eux-mêmes. La définition même du bonheur comme équilibre entre les forces et les besoins, le pouvoir et les désirs, nous présente, au livre deux d’Émile[9], non l’état de perfection, mais la perfection de l’état : l’équilibre est un ajustement entre différentes possibilités de développement. C’est parce que nous sommes capables de perfection en plusieurs voies – physique ou mentale, morale ou intellectuelle – qu’il peut y avoir équilibre, et différents équilibres à différents moments de notre évolution. Il peut donc y avoir hiérarchie entre différents états plus ou moins parfaits, sans qu’il y ait nécessairement finalisme, sans que chaque individu illustrant un moments du développement de la nature humaine soit contraint d’accéder au terme de son perfectionnement pour être heureux. L’équilibre du sauvage, défini par sa vigueur et sa solitude, se distingue de l’équilibre des premières sociétés, qui lui-même n’est pas le calme reconquis par le retrait en soi du sage. Il y a une distinction qualitative du point de vue de laquelle chacun des états est capable de bonheur, en tant qu’il représente le plus grand développement possible des facultés en présence, et que l’individu vivant dans cet état éprouve ce maximum comme tel, en se tenant précisément aux limites de son état. Le bonheur qui accompagne ces moments d’équilibre n’est donc pas seulement statique. De l’animal stupide et borné au sage, en passant par l’homme social, le sentiment d’existence qui accompagne ces moments de bonheur est sentiment de son être au moment même où il se réalise pleinement et se dépasse vers un nouvel état. Toute la spécificité de Rousseau est alors de maintenir, à chaque moment de ce perfectionnement de la nature humaine, une modalité du bonheur. Le sentiment de la perfection de son existence ne se limite pas au dépassement de son état, du sauvage vers le sage en passant par l’homme civilisé. Il exprime également la perfection de l’état lui-même : ce par quoi il se trouve être tout à la fois le dépassement d’un état antérieur et le lien harmonieux – durable – entre diverses formes de développement (dont le parfait exemple est la deuxième étape de l’état de nature). Sans perfection de l’état comme tel, il n’y aurait pas d’étape dans un perfectionnement. Ainsi l’indépendance et liberté naturelle du sauvage[10], la maturité de l’enfance comme telle[11], sont autant de moments de bonheur. Comme le voulait R. Derathé[12], il y a bien dialectique dans la pensée rousseauiste du bonheur : c’est une dialectique entre l’état et la perfection, rapport réciproque qui détermine les modalités du bonheur, comme équilibre, à chaque époque d’un développement paraissant comme tel nier la stabilité du bonheur précédent pour affirmer le sien.

Le bonheur naturel.

On m’accordera sans peine que le premier état de nature est une hypothèse visant à isoler ce que l’être humain a de plus spécifique, par rapport aux autres êtres sensibles certes, mais surtout pour distinguer dans l’étude de l’homme entre l’essentiel – qui est de la nature – et l’accidentel – qui est de l’histoire, c’est-à-dire : la société, l’amour-propre, la raison, la propriété. On peut se séparer de l’accidentel, mais non de l’essentiel, et tout aussi bien la critique des sociétés existantes (Discours sur l’inégalité, deuxième partie) que la construction de l’État idéal (Contrat social), s’appuient sur les caractères essentiels de l’humain – amour de soi et liberté – que dévoile le moment proprement anthropologique de l’œuvre rousseauiste : la première partie du Discours sur l’inégalité. Appliquons donc à Rousseau sa propre méthode et, pour étudier le bonheur, demandons-nous si l’homme sauvage est heureux.

La question mérite d’être posée car le dénuement de la nature humaine auquel aboutit la méthode rousseauiste nous incite à penser en un même temps le bonheur et la misère de l’homme primitif. Le bonheur se dessine à partir de l’indépendance de l’homme naturel et de l’aisance avec laquelle il satisfait ses besoins. Cela peut être dû à ses forces naturelles, à l’organisation avantageuse de son organisme lui permettant de se nourrir également de la plupart des aliments[13], mais cela est surtout dû à la limitation de ses désirs, qui « ne passent pas ses besoins physiques »[14]. L’homme sauvage, sujet à peu de passions, se suffit à lui-même et ne sent que ses vrais besoins[15], ceux que sa robuste constitution lui permet de satisfaire.

Cette autosuffisance, cet équilibre des forces et des besoins, ne préfigurent-ils pas l’état heureux du sage, connaissant ses limites sans vouloir les franchir ? Émile reprendra cette figure de l’équilibre[16] pour définir le bonheur naturel : « ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et que l’homme n’est pas malheureux »[17]. A vrai dire Rousseau ne parle pas ici de forces ou de besoins, mais de pouvoir et de désir. Cela ne fait que renforcer sa thèse, puisque le seul pouvoir de l’homme sauvage est le pouvoir sur lui-même, il ne s’agit donc que de commander à ses propres forces, et ses désirs, sans aucun développement de son imagination ni attachement à autrui, ne sont que ses besoins naturels. L’adéquation des désirs et des besoins se déduit donc nécessairement de la solitude primitive, et l’existence de l’homme sauvage devient la preuve de son autosuffisance. Ainsi ce bonheur va-t-il de pair avec la liberté, et nous trouvons ainsi le moyen de définir un bonheur proprement humain à l’état de nature : puisque les désirs de l’homme sauvage ne passent pas les besoins que sa constitution lui permet de satisfaire, l’homme sauvage est vraiment libre, il « ne veut que ce qu’il peut et fait ce qui lui plait » ; en conséquence il est heureux : « quiconque fait ce qu’il veut est heureux s’il se suffit à lui-même ; c’est le cas de l’homme dans l’état de nature »[18].

Ces textes paraissent faire de l’état naturel l’archétype du bonheur, tout comme ils en font la définition d’une nature humaine essentielle et primitive. Toutefois, et au même titre que notre nature primitive, cet archétype ne demande-t-il pas à être parachevé, c’est-à-dire dépassé et transformé ? N’est-ce pas ce même bonheur – idéal – de l’homme primitif dont le Manuscrit de Genève prive le sauvage ? « Insensible aux stupides hommes des premiers temps, échappée aux hommes éclairés des temps postérieurs, l’heureuse vie de l’âge d’or fut toujours un état étranger à la race humaine, ou pour l’avoir méconnu quand elle pouvait en jouir, ou pour l’avoir perdu quand elle aurait pu le connaître »[19]. R. Derathé[20] s’appuie sur ce passage pour déplacer le bonheur du physique au moral, voyant dans la vie primitive un bonheur méconnu, et donc à peine ressenti[21]. Ce bonheur à peine ressenti existe-t-il encore ? Le bonheur n’est-il pas d’abord sentiment de bonheur[22] ? Et que devient ce bonheur primitif quand, avec le début de la seconde partie du Discours sur l’inégalité, nous pénétrons dans les prémices de l’historicité pour constater que les qualités proprement humaines, vigueur du corps et ingéniosité technique, sont acquises en luttant contre la férocité des animaux, les années stériles et les étés brûlants ? Il n’est plus si simple de voir, derrière cette peinture de la vie sauvage, un état de bonheur ; un être imparfait pouvant se suffire à lui-même, ne serait-il pas, comme l’affirme Émile IV, seul et misérable ?[23] Certes le deuxième Discours refuse de qualifier l’homme sauvage de misérable, parce qu’il l’oppose à l’homme civil, et voit dans l’instinct ce qui suffit à vivre en paix et en bonne santé. Mais qu’en est-il de la férocité des bêtes sauvages et de la rigueur des hivers ? Cette bonne santé n’est-elle pas due à la disparition rapide des malades ? En retrouvant un argument d’Epicure[24], nous pourrions nous dire, pour être plus vraisemblable, que la maladie grave ne dure pas longtemps. Le bonheur naturel apparaît donc plutôt comme négation des malheurs de la vie civile ou, au mieux, situation « indolente »[25]. De fait les descriptions de l’état sauvage non plus en terme de bonheur mais en terme d’impassibilité et de paix abondent, moins dans le deuxième Discours il est vrai[26], que dans Émile : « le plus heureux est celui qui souffre le moins de peine, le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs […] La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif »[27] ; de même, dans Émile III : « le bonheur de l’homme naturel est aussi simple que sa vie, il consiste à ne pas souffrir : la santé, la liberté, le nécessaire le constituent »[28]. Il n’y a là qu’un bonheur négatif.

Concluons à propos de cette première étape que son étude nous donne surtout la possibilité de penser un bonheur tenant tout entier dans un état, et ne reposant donc sur aucun désir ni aucune espérance d’un autre état. Tout comme l’idée d’une nature humaine non-égoïste permettra de penser une autre société, l’idée d’un bonheur tenant tout entier dans son état servira de modèle au retour en soi-même du sage, voire, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes dans cette dialectique de l’état et de la perfection, au bonheur parfait dont jouit Dieu lui-même. Ce modèle de l’autosuffisance acquise par un retrait en soi prévaudra chez les commentateurs[29], il est aussi celui que véhicule l’époque en rejoignant la morale antique à partir d’analyses augustiniennes. Il faut ici penser tout à la fois aux invitations malebranchistes à rentrer en soi-même[30], et à Fontenelle, chez qui l’on peut voir, à la suite de R. Mauzi[31], l’origine du resserrement rousseauiste, archétype du bonheur : « Un homme vraiment heureux ne parle guère et ne rit guère ; il resserre, pour ainsi dire, le bonheur autour de son cœur »[32]. Le bonheur du premier état de nature incarne immédiatement l’indépendance produite par ce retour en soi, et manifeste donc la possibilité de ce qui apparaît à l’homme civilisé, vivant dans l’opinion des autres, comme le résultat d’un processus, sinon contre nature, du moins contre son habitude.

À l’atténuation de la jouissance des premiers temps répond l’affirmation que la deuxième étape, la « jeunesse du monde », constitue « l’époque la plus heureuse, et la plus durable », l’état « le meilleur à l’homme »[33]. Cette affirmation peut étonner puisqu’elle jouxte la « terreur des vengeances » et les « sacrifices de sang humain »[34]. Cependant la deuxième étape de l’état de nature, caractérisée par la première vie sociale, ne présente pas encore les signes de la dégénérescence qui conduit à l’état de guerre. Les violences ne sont qu’interindividuelles, liées aux premiers développements de la vie mentale, passions et raison, qui accompagnent la socialité naissante. Ces développements en revanche concernent tout un chacun qui en bénéficie, et l’on peut souligner qu’à cette étape la perfection de l’individu ne se fait pas au détriment de l’espèce[35]. Nous sommes donc très exactement à la rencontre de l’état – il s’agit d’une époque durable – et de la perfection : les facultés virtuelles – raison et amour-propre notamment – ont toutes commencé à se développer, sans occulter pour autant les passions naturelles, amour de soi et pitié. L’espèce humaine ne sera jamais plus près de mettre ainsi en jeu l’ensemble de ses facultés, et cela au moment où les premières rencontres donnent naissance, en un même temps, à la vie affective et à la conscience de l’identité personnelle. Ce n’est pas à vrai dire la vie affective qui ferait à elle seule de ce moment l’étape la plus heureuse ; l’amour n’est que rarement satisfait chez Rousseau : toujours mêlé d’amour-propre, la réciprocité parfaite qu’impliquerait une relation accomplie est hélas contradictoire, puisque chacun veut être aimé plus que tout autre, et donc plus que l’autre ne s’aime soi-même. Cette deuxième étape est heureuse parce que les développements de la nature humaine n’ont pas encore entraîné de conséquences funestes, comme l’accumulation de la propriété à la troisième et dernière étape de l’état de nature. Nous avons ici à la fois un état et un développement[36] : le développement des facultés naturelles permet de jouir de cet état, sans engager encore sa dégénérescence, et donc en le constituant comme état, époque durable. La jouissance de l’espèce est ici jouissance de soi par soi, puisque des qualités proprement humaines sont développées dans l’espèce entière par les relations entre ses membres. Peut-être mieux qu’en tout autre état convient-il de dire que les hommes à cette époque pouvaient jouir « de tout leur être »[37].

Ainsi lorsque Rousseau écrit, à propos de cette deuxième étape de l’état de nature, que les hommes y sont « heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature »[38], il ne faut plus, comme pour la première étape, voir ici l’affirmation d’un bonheur négatif. Il s’agit bien d’une jouissance de tout son être, telle que permise à « ce période de développement des facultés humaines »[39]. Ce deuxième état de nature est donc archétype non plus d’un bonheur retenu dans un état, mais bien d’une coïncidence entre état et perfection. Il ne s’agit plus d’un état puisqu’il s’agit déjà d’un développement de l’ensemble de nos facultés ; il ne s’agit pas encore de perfection, mais seulement du perfectionnement de l’état initial. Et pour preuve que nous n’en sommes pas encore à la perfection, l’émergence de ce nouveau bonheur est liée au développement de facultés et de passions qui entraîneront le malheur de tous, dès que l’occasion s’en présentera, à l’étape suivante, dernier moment de l’état de nature. C’est contre ce malheur qu’il faudra repenser les conditions du bonheur – i.e. d’une vie proprement humaine au sein de laquelle se rencontrent, de manière durable, le développement et l’exercice du plus grand nombre de facultés. Mais, tout comme la mise en œuvre de la perfectibilité proprement humaine – condition du bonheur nouveau – peut provoquer la dégénérescence de l’espèce, le remède – collectif – à cette dégénérescence n’aura-t-il pas, lui aussi, de funestes conséquences ?

Le bonheur collectif.

L’artifice de l’institution politique constitue, nous le savons, le remède à la dégénérescence de l’espèce, entrée, depuis l’accumulation de la propriété, dans un état de guerre. Le collectif – l’état civil – vient ici corriger le social, apparu avec la deuxième étape de l’état de nature et dégénérant en état de guerre dans la troisième et dernière étape de l’état de nature. Rousseau applique, dans sa philosophie politique, le modèle de l’École du droit naturel, partant d’un état de guerre conçu sous la forme d’une opposition de chacun contre tous, pour réorienter les volontés individuelles et transformer, par un contrat, cette opposition en union. Rousseau pense, avec son époque, cette transformation par la catégorie de l’intérêt, et s’adresse, dans son Contrat social, au propriétaire, pour l’inviter à mieux calculer ses intérêts en recomposant ses forces avec celles de tous. Il situe ainsi le remède – l’institution politique et l’intérêt général – dans le mal – l’amour-propre et l’intérêt privé, exclusif, du propriétaire. Cette situation du remède dans la réalité du mal manifeste la possibilité du politique. Mais, pourrions nous dire en retournant le titre d’un ouvrage de J. Starobinski[40], si le remède est dans le mal, le mal est aussi dans le remède : le contrat du Discours sur l’inégalité nous rappelle que l’institution d’une société politique, même valide juridiquement[41], est à même de faire renaître les oppositions qu’elle était censée réduire, avec encore plus de moyens d’oppression, lorsque le riche détourne l’exercice du pouvoir à son profit. Le politique ne peut donc être un remède à l’état de guerre qu’en s’assurant de la subordination totale de l’exécutif au législatif[42], et en évacuant, autant que faire se peut, l’amour-propre et l’égoïsme en dehors des rapports de pouvoir, en mettant donc, « la loi au-dessus de l’homme »[43]. Il n’est pas question de parcourir ici les moments de cette théorie, allant de l’aliénation totale à la réitération de la subordination de l’exécutif à chaque assemblée périodique (Contrat social, fin du livre III), en passant par la définition de la volonté générale (Contrat social, livre II, notamment chapitres quatre et six). Il faut en revanche considérer l’institution légitime dans son résultat, et se demander si la construction d’un corps collectif étroitement uni, au sein duquel l’amour-propre ne devrait plus avoir aucune part dans les relations des membres au corps, permet ou non à chacun de jouir d’un bonheur dont les développements historiques privent en fait la quasi totalité de l’espèce.

Cela n’est pas sans difficulté, car, si le bonheur accompagne, comme nous l’avons vu avec la deuxième étape de l’état de nature, l’accomplissement de la nature humaine, comment le retrouver lorsque le corps artificiel de l’État circonscrit la vie du citoyen ? Il serait aisé de rappeler, avec le chapitre huit du livre un du Contrat, que la société politique constitue le milieu privilégié du développement des facultés. Mais le citoyen lui-même, « unité fractionnaire qu tient au dénominateur »[44], est-il encore un homme, surtout lorsqu’il participe au fonctionnement de l’État ? Peut-il éprouver une jouissance, et cette jouissance est-elle identique à ce que nous avons jusqu’à présent qualifié de bonheur ?

Incontestablement, le citoyen se réjouit, mais ses joies ne sont plus attachées à son identité individuelle, attachement qui était pourtant le signe des premières déterminations du bonheur, qu’il s’agisse de l’indépendance de l’homme naturel ou des réjouissances déjà sociales auxquelles donnait lieu les rassemblements de la « jeunesse du monde ». La question de cette réjouissance qui n’est plus celle de l’identité individuelle se retrouve dans l’ambiguïté du fragment Du bonheur public. Ambiguïté frappante, à propos du sujet de ce bonheur public : s’agit-il du bonheur du peuple, et donc aussi de tous les individus qui le compose, comme semble l’étudier Rousseau au début de ce fragment, ou s’agit-il du bonheur de l’État, bonheur collectif dont Rousseau refuse explicitement de tirer l’idée « du bonheur particulier de chaque citoyen qui le compose »[45] ? Pour ne pas voir une contradiction entre les deux moitiés de ce fragment, il nous faut comprendre que « le bonheur particulier de chaque citoyen » n’est pas le bonheur de tous, que ce bonheur de tous, qui doit bien échoir, d’une manière ou d’une autre, à tout un chacun, ne suffit pas à définir le bonheur de chacun. Cette distinction signifie d’abord que la « prospérité de l’État »[46] peut matériellement revêtir des modalités qui ne feront pas le bonheur de chacun en particulier. Que l’on retrouve une identité formelle entre la prospérité de l’État et le bonheur individuel ne change rien à l’affaire. Rousseau dit bien que la prospérité de l’État réside dans son indépendance, à comprendre, en matière de société politique, dans son existence même comme nation souveraine. Mais s’il importe à l’État, pour conquérir ou conserver cette indépendance, d’envoyer l’un ou l’autre à la mort, « le citoyen n’est plus juge du péril auquel la loi veut qu’il s’expose »[47]. La prospérité de l’État est donc indifférente au bonheur d’un ou de quelques un des particuliers.

Mais elle ne peut pour autant être étrangère au bonheur des particuliers dans leur ensemble, et nous retrouvons alors le début du fragment sur le bonheur public. Il faut toutefois continuer à distinguer entre le bonheur de chacun en particulier, et le bonheur de tout un chacun, comme part du bonheur de tous, qui échoit à chacun. Ce bonheur des particuliers dans leur ensemble est un bonheur que les particuliers doivent pouvoir ressentir tous ensemble, un bonheur qui concerne donc d’abord leur ensemble, collectif, artificiel, abstrait. Voilà pourquoi les peintures les plus vives de la joie citoyenne sont aussi les plus éloignées de l’individualité première des particuliers. La terrifiante mère spartiate d’Émile I, qui vient de perdre ses cinq fils à l’armée, mais qui « court au temple en rend grâce aux dieux »[48], est un exemple de la spécificité de cette joie citoyenne. Moins extrême, mais tout aussi précis, est l’exemple précédent du lacédémonien Pédarète, éconduit par le conseil des trois cents, qui « s’en retourne tout joyeux de ce qu’il s’est trouvé dans Sparte trois cents hommes valant mieux que lui »[49]. L’exemple démontre que l’amour-propre individuel s’est entièrement effacé au profit d’une réjouissance qui se confond entièrement avec la satisfaction de l’intérêt collectif.

Pour que cette confusion soit possible, il faut certes que « le bien public soit le bien de tous en quelque chose »[50], sans quoi Pédarète ne pourrait s’en retourner joyeux. Mais il faut aussi, pour que la réjouissance soit réelle, que la superposition puisse être exacte entre la satisfaction de l’intérêt collectif et la réjouissance individuelle. Or l’exactitude cette superposition n’est autre que la possibilité même de la volonté générale et donc le fondement du corps politique légitime. J’ai déjà souligné[51] que le fondement anthropologique de la volonté générale reposait sur l’identité entre amour de soi individuel et amour de soi collectif. En explicitant les termes de « tous » de « chacun » dont se sert le chapitre quatre du livre deux du Contrat social, on peut comprendre que chaque individu-citoyen vote pour le bonheur de tous les autres, parce qu’au moment du vote chaque citoyen s’approprie le bonheur commun en le considérant comme le sien. Il ne s’agit pas ici de nos sociétés actuelles ; il ne s’agit pas d’obtenir une simple opposition d’intérêts exclusifs et divergents, que seule une politique de partis ramènerait, par compromis successifs, à un consensus exsangue. Il s’agit d’exprimer effectivement le bien commun, et chaque citoyen s’approprie le bonheur commun parce que ce bonheur peut immédiatement faire partie du sien, tout en restant commun. Nous ne sommes plus dans les oppositions d’amour-propre, mais dans l’affirmation de l’amour de soi, qui est par nature indifférent à autrui, et donc non exclusif. Et c’est l’enracinement de la volonté générale dans cet amour de soi – « toujours bon et toujours conforme à l’ordre »[52] – qui rend raison de la « rectitude naturelle »[53] de la volonté générale.

L’étrange condition du bonheur public – que chacun puisse jouir de la prospérité d’un être artificiel et abstrait – trouve donc son explication dans le fonctionnement même du corps politique légitime. Il y a jouissance et sentiment de bonheur parce que, retenues dans les bornes de l’intérêt commun, les décisions du pouvoir souverain peuvent effectivement participer au bonheur de tous, et que chaque individu-citoyen, visant la satisfaction d'un intérêt particulier non exclusif, peut prendre appui sur la passion la plus fondamentale, l’amour de soi, pour exprimer la volonté générale, fonctionnant alors comme amour de soi d’un corps politique[54] pensé dans son individualité, sur le modèle de l’individualité biologique du corps humain.

Allons plus loin : le sentiment du bonheur se déporte effectivement ici sur un être collectif : il s’agit bien d’un éloignement de soi, non pas de la simple superposition de deux bonheurs distincts, bonheur individuel et bonheur public. La satisfaction de l’amour de soi entraîne avec elle le sujet de la jouissance au-delà de son identité première, amour-propre de Pédarète ou sentiment maternel de la mère spartiate. Le politique nous apprend à distinguer entre l’être et le bien-être, en identifiant notre bien à celui d’un tout. La citoyenne spartiate a déjà dû, en tant que mère, éprouver cela, mais seul le politique peut l’apprendre à tout un chacun. En s’opposant à l’individualisme, la société politique affirme son propre principe lorsqu’elle invite chacun à dépasser ce qui le retient dans la particularité de ses déterminations naturelles. La vie en société politique manifeste alors cette distinction entre l’être et le bien être, distinction que Rousseau trouve chez Malebranche[55], et que nous retrouverons chez Rousseau, lorsque dans ses extases il dépassera les limites de son être pour jouir de tout l’univers.

Mais le politique n’est que la première forme d’un tel déplacement de l’amour de soi. Ici encore, le mal est dans le remède, et pour former les citoyens il faut les attacher à leur pays, distinguer ce pays des autres : nous retrouvons alors au niveau des États les oppositions d’amour-propre. Le patriote est « dur aux étrangers »[56], et jusqu’aux fêtes prévues dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne, il s’agit toujours de montrer que l’on est plus heureux dans son pays qu’ailleurs – ubi patria, ibi bene. C’est « le même esprit »[57] qui guide les anciens législateurs, les pousse à instituer des cérémonies religieuses « exclusives et nationales », et qui préside ici à l’institution des fêtes polonaises. Les oppositions inter étatiques sont liées à la particularité du corps politique, et les vertus civiques ne pourront jamais se confondre avec l’universalité de la vertu morale. Avec la figure du patriote, il est clair que le politique, pour avoir distingué l’être et le bien être en dépassant l’individualisme, n’a détaché l’individu de son corps que pour mieux le rattacher au corps de l’État. Dès lors le bonheur citoyen, naissant dans le dépassement des conflits interindividuels, apparaît à sont tour comme un bonheur à dépasser, pour retrouver, par delà les oppositions entre particularité nationales, une jouissance de soi au-delà de tout corps.

Le bonheur du sage

Cette jouissance est celle du sage, dernier état du bonheur humain qui puisse être décrit par celui qui l’a vécu. A ce titre, le bonheur du sage dépasse donc les moments précédents – bonheur naturel et bonheur collectif – en cela qu’il pallie leurs imperfections respectives. Le bonheur du sage dépasse tout d’abord le bonheur naturel parce qu’à l’inverse du sauvage qui ne jouit pas de tout son être, le sage a, quant à lui, développé au plus haut degré ses facultés. Non plus au sens de la deuxième étape de l’état de nature, dont la caractéristique est de présenter un égal développement de toutes les facultés, physiques et morales. Précisément parce que ses facultés sont développées au plus haut degré, l’homme sage n’a pas pu les développer toutes. Ainsi les facultés physiques passent au second plan, et il n’est pas question non plus de tout ce qui, dans les relations sociales, engagerait l’amour-propre. La raison en revanche n’est plus la simple servante des passions, née des comparaisons d’amour-propre. Atteignant le plus haut degré d’abstraction et de généralité, elle nous dévoile l’ordre de l’univers. Dès lors[58] l’ultime transformation de l’amour de soi, la « conscience », apparaît au terme de ce développement[59], en tant que conscience morale étayée par la connaissance de l’ordre et de la place à laquelle le sage se tient dans cet ordre. Le bonheur du sage dépasse donc bien le bonheur naturel, ne serait-ce qu’à cause de ce développement conjoint de la conscience et de la raison, faculté qui nous découvre, avec l’univers, son auteur vers lequel s’élève Jean-Jacques lors de ses promenades et de ses extases. Un tel bonheur restera toujours étranger, au même titre que les idées de la divinité, à celui qui n’a pas suffisamment développé sa raison, qu’il s’agisse de l’homme à l’état de nature, des lapons et des caffres, ou, plus près de nous, de la multitude[60].

Ainsi le bonheur du sage dépasse-t-il le bonheur naturel. Mais il le dépasse en tant qu’il conserve la détermination essentielle de ce bonheur – l’autosuffisance –, et pourrait-on dire, il le dépasse pour la conserver. L’autosuffisance de l’homme naturel est en effet perdue avec l’apparition de la propriété et la « fermentation » de l’amour-propre investi dans les choses. La condition première du bonheur disparaît pour celui dont le désir se trompe d’objet, et qui perd, avec ce qui le rendrait heureux, la conscience de lui-même. Le riche, sensible dans toutes les parties de ses biens[61], est trop exposé pour ne pas en souffrir. Le malheur des grands peut être une thématique commune au siècle[62], son étude[63] illustre parfaitement chez Rousseau le déplacement hors de soi que nous impose l’amour-propre. C’est contre une telle aliénation – et il faut penser ici au sens le plus fort du terme, à un devenir étranger à soi, Entfremdung – que le sage rentre en lui-même et retrouve, avec la conscience de ce qu’il est vraiment, la première condition du bonheur.

Dans ce dépassement du bonheur naturel nous trouvons confirmation de la hiérarchie des différents états, qui est une hiérarchie en perfection. Ici seulement, il peut y avoir finalisme parce que l’ensemble des bonheurs différents se range sous le point de vue du sage, point de vue de celui qui atteint la plus grande perfection des facultés humaines. Alors le bonheur du sauvage est, tout comme le bonheur du paysan, un bonheur inférieur auquel on ne peut que « descendre » ; ainsi le spectacle du bonheur champêtre : « On est touché du bonheur de certains états, par exemple de la vie champêtre et pastorale. Le charme de voir ces bonnes gens heureux n'est point empoisonné par l'envie; on s'intéresse à eux véritablement. Pourquoi cela? Parce qu'on se sent maître de descendre à cet état de paix et d'innocence, et de jouir de la même félicité […] »[64].

Par la même raison qui s’ouvre à l’universel, le sage sait mieux que tout autre quel est le bien et peut donc s’y rapporter. Il est donc à même de dépasser les insuffisances du bonheur citoyen, attaché à la particularité de son État. Ce dépassement est moral. Tout comme la connaissance de l’ordre du monde indique à l’homme la place de son espèce et le rapporte à Dieu, le regard universel de la raison ne permet plus de favoriser un État particulier contre un autre. En dépassant ainsi le registre seulement politique, la morale le rapporte en fait à son fondement légitime, amour de soi et non amour-propre. L’agir moral permet d’ordonner la volonté générale à l’ordre universel en l’enracinant dans l’amour de soi, et non plus dans l’égoïsme abstrait[65] du patriote. Le politique est donc tout aussi bien conservé dans ce dépassement : le citoyen qui accomplit un devoir moral peut prendre part à la vie de l’État ; tant que l’État ne lui commande rien qui aille contre sa conscience, la morale lui commandera de servir l’État, du moins la volonté la plus générale[66]. Cette perspective est celle de l’article Droit naturel de l’Encyclopédie, ou encore celle du Discours sur l’économie politique, perspective que le développement de l’œuvre abandonne en se séparant de Diderot et en constituant une philosophie politique spécifique, distincte de la morale. Mais cette distinction entre politique et morale, pour fidèle qu’elle soit à ce que l’on peut attendre des sociétés politiques comme telles, n’en conduit pas moins à revenir de la politique vers la morale pour viser l’universel et dépasser les insuffisances du politique entaché de particularités nationales. Il n’est pas nécessaire pour cela de transformer la doctrine, mais de rappeler que le fondement de la volonté générale, s’il doit bien être l’amour de soi, ne devrait jamais conduire à des décisions contraires à la coexistence pacifique des peuples. Rien n’interdit d’imaginer, à partir de la politique de Rousseau, un mouvement continu du politique vers la morale qui se fonderait sur un travail intérieur de chaque citoyen pour viser l’universel en votant dans son État. Toute la difficulté consisterait à impulser ce travail intérieur, c’est la question du législateur et du statut de la religion, de l’influence de la loi sur les mœurs, et de tout ce qui accompagne la pensée du progrès politique au XVIIIe siècle.

Pour revenir à notre propos il est clair que le dépassement de, la contradiction majeure du politique en matière de satisfaction et de réalisation de la nature humaine trouve sa solution dans le domaine moral, et son effet dans un champ qui demeure, au XVIIIe siècle, individuel. Le bonheur est ainsi lié à l’agir moral, qui en est tout à la fois le milieu et la cause. L’agir moral est milieu ou élément du bonheur, puisqu’un contentement accompagne l’effort vertueux[67], contentement qu’Émile IV qualifie de suprême jouissance : « La suprême jouissance est dans le contentement de soi-même ; c’est pour mériter ce contentement que nous sommes placés sur la terre et doués de la liberté, que nous sommes tentés par les passions et retenus par la conscience »[68]. L’agir moral est aussi cause du bonheur futur, bonheur éternel, récompense du juste, que m’assure le « bon usage de ma liberté »[69]. Le « bonheur inaltérable »[70], ou « durable »[71], repos d’une bonne conscience et contemplation de l’être suprême sont promis à ceux qui ont « bien usé » de cette vie. Nous touchons là l’ultime forme du bonheur.

A bien des égards, le bonheur de Jean-Jacques synthétise l’ensemble des caractères propres à chaque moment ou étape du bonheur humain. Outre l’universalité liée à la connaissance puis à l’amour de l’ordre, nous retrouvons, avec la solitude exquise que décrit la lettre A Malesherbes du 26 janvier 1762, l’indépendance de l’homme naturel, indépendance et autosuffisance que le sage gagne cette fois-ci contre le monde, et qui font partie intégrante de son bonheur : « tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu »[72]. Le sentiment d’existence qui accompagne cette indépendance dans ses moments de bonheur est lui-même réduit à la pure identité du sujet de la jouissance, dépouillé de tout autre détermination mondaine[73]. J’ai déjà commenté[74] l’épisode de la Deuxième promenade, lorsque Jean-Jacques, renversé par un chien danois, perd connaissance, en soulignant avec H. Gouhier et contre M. Raymond que les jouissances rousseauistes n’étaient pas une forme de mysticisme et ne consistaient pas à échapper « à la conscience et à l’amour de soi »[75]. Ces extases manifestent au contraire l’identité de la jouissance et de la conscience de soi. De ces moments, Rousseau peut dire tout à la fois : « Tout entier au moment présent, je ne me souvenais de rien, je n’avais nulle notion distincte de mon individu », et : « Je sentais dans tout mon être un calme ravissant »[76]. Il est clair que dans ces moments se distingue au mieux conscience de soi et conscience de son individualité, tout comme sont liées jouissance et conscience de soi. Comment ne pas rapprocher alors, ainsi que nous en risquions l’hypothèse en introduction, la jouissance et le dépassement de son individualité ? Au regard du bonheur, le Soi ne désigne plus mon existence individuelle mais son dépassement. Que ce dépassement nous conduise au-delà de notre individualité première n’a rien d’étonnant pour qui croit à l’immortalité de l’âme.

Comment le dépassement de son individualité provoque-t-il la satisfaction ? Il faut nous référer à la distinction malebranchiste entre le bien être et l’être, distinction qui subordonne l’être au bien-être, jusqu’à faire, comme nous le remarquions en introduction, du désir de bien-être le lieu de mon identité véritable. Je ne peux aimer que mon bien être, rappelle Rousseau après Malebranche[77], et cet amour me conduit au-delà de l’être auquel je suis actuellement attaché : « il est très naturel que celui qui s’aime cherche à étendre son être et ses jouissances, et à s’approprier par l’attachement ce qu’il sent devoir être un bien pour lui »[78]. Le sentiment de bonheur se conquiert donc en allant au-delà de son corps. Lorsqu’il s’étend dans tout l’univers, s’élance dans l’infini ou se fond dans le système des êtres[79], Jean-Jacques est bien près de ne plus tenir à son corps. C’est ce qu’attend le vicaire savoyard : « J’aspire au moment où, délivré des entraves du corps je serai moi sans contradiction, sans partage, et n’aurai besoin que de moi pour être heureux »[80]. Ainsi les extases de Jean-Jacques préfigurent-elles le bonheur que le croyant espère dans l’éternité.

Il faut pour conclure souligner que ce bonheur si singulier, rattaché au sentiment et à la conscience de soi de celui qui l’éprouve, ne serait pas tel s’il n’était, en même temps, universel. Cette universalité est ce qui permet au bonheur du sage de dépasser la contradiction du bonheur collectif rabattant le dépassement de l’individualité première sur les particularités nationales. Mais l’universalité permettant de dépasser la particularité du corps politique n’est pas elle-même politique, elle provient de cette rencontre entre raison et conscience, entre connaissance et morale, qui définit la sagesse. Il y a, dans les extases de Jean-Jacques, nombre de points que nous trouvons déjà dans les descriptions de l’activité théorétique des philosophes antiques[81]. L’élévation du point de vue, exprimée par la thématique du vol des âmes, est certes liée à une cosmologie que ne partage plus l’époque de Rousseau. Mais cette cosmologie exprimait aussi une dimension scientifique. Et chez Rousseau également, l’extase requiert, tout comme l’agir vertueux, quelque idée de l’ordre, et une idée vraie de cet ordre, pour connaître sa place dans l’univers et pouvoir ainsi se rapporter à son auteur. Raison et conscience, connaissance et morale, sont ici conjointes : le bon s’ordonne par rapport au tout, le méchant ordonne le tout par rapport à lui[82]. S’il y a donc, pour le bon comme pour le méchant quelque idée de l’ordre, seul le bon connaît l’ordre véritable ; il ne se tient pas au centre mais à la circonférence « alors il est ordonné par rapport au centre commun qui est Dieu et par rapport à tous les cercles concentriques qui sont les créatures »[83]. C’est de cet ordre véritable que jouit le sage : « Je ne sens plus en moi que l’ouvrage et l’instrument du grand Être qui veut le bien, qui le fait, qui fera le mien par le concours de mes volontés aux siennes, et par le bon usage de ma liberté ; j’acquiesce à l’ordre qu’il établit, sûr de jouir moi-même un jour de cet ordre, et d’y trouver ma félicité : car quelle félicité plus douce que de se sentir ordonné dans un système où tout est bien ? »[84]. La plus haute forme de bonheur ne peut donc se séparer de la vérité. On pourrait aller jusqu’à dire que le bonheur accompagne ici celui qui saisit à sa source l’unité de la connaissance et de la morale. Rousseau nous rappelle ainsi que le bonheur est partie intégrante de l’exercice de la philosophie.



[1]. « Du bonheur public », in Fragments politiques, O.C. T. III, Paris, Gallimard, 1964, coll. La Pléiade, p. 510. La distinction est commune, cf. également, Émile V, O.C. IV, Paris, Gallimard, 1969, coll. La Pléiade p. 821 : « la félicité des sens est passagère », et dans les Rêveries, la cinquième promenade, O.C. I, Paris, Gallimard, 1959, coll. La Pléiade, p. 1046, et la neuvième promenade, début.

[2]. Cf. B. Gagnebin, « Les conditions du bonheur chez J.J. Rousseau », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 1975 N°1, p. 72, citant Rousseau : « Le bonheur… n’est point composé d’instants fugitifs, nous dit-il, mais un état simple et permanent, qui n’a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme ».

[3]. « Il faut être heureux, cher Émile : c'est la fin de tout être sensible ; c'est le premier désir que nous imprima la nature, et le seul qui ne nous quitte jamais » Émile V, O.C. IV, Paris, Gallimard, 1969, coll. La Pléiade p. 814. Cf. également la deuxième des Lettres morales, début, O.C. I, p. 1087.

[4]. Cf. L’article « Charité » de l’Encyclopédie, « nous cherchons tout naturellement à nous rendre heureux. C'est, selon saint Augustin, la vérité la mieux entendue, la plus constante & la plus éclaircie. Omnes homines beati esse volunt, idquè unum ardentissimo amore appetunt ; & propter hoc caetera quaecumque appetunt. C'est le cri de l'humanité ; c'est la pente de la nature ».

[5]. Malebranche, Traité de l’amour de Dieu, début.

[6]. J.J. Rousseau, l’individu et la république, Paris, Kimé, 2001, chapitre deux.

[7]. Cinquième promenade, Rêveries du promeneur solitaire, p. 1047 : « le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix ».

[8]. « S'il faut se refuser à tout, que nous a donc servi de naître ? et s'il faut mépriser le bonheur même, qui est-ce qui sait être heureux ? C'est moi, répondit un jour le prêtre d'un ton dont je fus frappé » Émile IV, p. 564-565.

[9]. Émile II, pp. 303-305.

[10]. Émile II p. 310, « Quiconque fait ce qu'il veut est heureux, s'il se suffit à lui-même ; c'est le cas de l'homme vivant dans l'état de nature ».

[11]. Émile II p. 423 : « il n’a point acheté sa perfection aux dépens de son bonheur : au contraire ils ont concouru l’un à l’autre ».

[12]. « La dialectique du bonheur chez J.J.Rousseau », conférence de 1951, reproduite dans la Revue de théologie et de philosophie, 1952, II.

[13]. Discours sur l’inégalité, première partie, O.C. III, p. 135.

[14]. Ibid., p. 143.

[15]. Ibid., p. 160.

[16]. Figure que l’on peut référer aux analyse morales du monde marchand, cf. R. Mauzi, L’idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin 1960, Albin Michel 1994, p. 161.

[17]. Émile ou de l’éducation, L. II, p. 303.

[18]. Ibid., pp. 309 et 310.

[19]. Manuscrit de Genève (première version du Contrat social), O.C. III, Paris, Gallimard, 1964, coll. La Pléiade p. 283.

[20]. « La dialectique du bonheur chez J.J. Rousseau », p. 89.

[21]. Cf. la suite de la citation précédente du Manuscrit de Genève décrivant un monde demeuré à l’état d’innocence : « chacun resterait isolé parmi les autres, chacun ne songerait qu’à soi, notre entendement ne saurait se développer, nous vivrions sans rien sentir, nous mourrions sans avoir vécu ; tout notre bonheur consisterait à ne pas connaître notre misère ; il n’y aurait ni bonté dans nos cœurs ni moralité dans nos actions », Manuscrit de Genève, p. 283.

[22]. Cf. Confessions VI : « comment dire ce qui n’était ni dit, ni fait, ni pensé même, mais goûté, mais senti, sans que je puisse énoncer d’autre objet de mon bonheur que ce sentiment même », O.C. I, p. 223.

[23]. Émile, L. IV, O.C. IV, p. 503.

[24]. Dans la Lettre à Ménécée.

[25]. « L’indolence » qualifiant, dans la seconde partie du Discours sur l’inégalité, l’état primitif par distinction d’avec la deuxième étape de l’état de nature : Discours sur l’inégalité, p. 171.

[26]. On pourrait toutefois penser à la note IX.

[27]. Émile II, p. 303.

[28]. Émile IV, p. 444.

[29]. Ainsi B. Gagnebin en fera-t-il la conclusion de son étude, « Les conditions du bonheur chez J.J. Rousseau », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 1975 N°1.

[30]. Notamment dans les Méditations chrétiennes.

[31]. Fontenelle, Discours sur le bonheur, 1724, cité par R. Mauzi, L’idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle, p. 227 : « celui qui veut être heureux se réduit et se resserre autant qu’il est possible ».

[32]. Émile IV, p. 515. La même thématique se retrouve dans la deuxième promenade : « L'habitude de rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j'appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous, et qu'il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouloir être heureux », Rêveries du promeneur solitaire, O.C. I, Paris, Gallimard, 1959, coll. La Pléiade, p. 1002-1003. Le retrait dans soi contre les aliénations de l’amour-propre est explicité in Huitième promenade, O.C. I, p. 1079-1080.

[33]. Discours sur l’inégalité, p. 171.

[34]. Ibid., pp. 171 et 169.

[35]. Ce que dit Rousseau à propos des « progrès ultérieurs », Discours sur l’inégalité, p. 171. J’ai étudié ces points dans J.J. Rousseau, l’individu et la république, notamment Ch. III p. 89-90.

[36]. Et il s’agit précisément de l’état d’un développement, non plus seulement d’un état, comme dans la première étape, ni de l’ensemble du développement historique, qui ne laisserait plus voir que la dégénérescence.

[37]. Pour reprendre une expression d’Émile II où nous retrouvons le thème de l’équilibre avec retrait des désirs dans les bornes des forces ou du pouvoir : « En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs ; car, s'ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirons pas de tout notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté », Émile II p. 304.

[38]. Discours sur l’inégalité, p. 171 : « ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant ».

[39]. Discours sur l’inégalité, p. 171. J’ai commenté l’expression in J.J. Rousseau, l’individu et la république, p. 89-90.

[40]. Starobinski J., Le remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, Gallimard, 1989.

[41]. Je ne veux pas relancer ici la polémique sur la nature du contrat dans le deuxième Discours. Je rappelle qu’à la suite de V. Goldschmidt j’ai considéré, dans J.J. Rousseau, l’individu et la république, ch. quatre, que le contrat du deuxième Discours était un contrat valide dans sa forme. Cela ne vaut pas dire qu’il est bon dans ses effets, mais que le riche, précisément pour détourner la société politique à son profit, institue une association politique légitime. Il est clair que le mal est ici dans le remède. Le Contrat social, visant le détournement du pouvoir par les intérêt particuliers, et en l’occurrence par le corps particulier du gouvernement, continuera de dire que le corps politique porte en lui sa mort dès sa naissance (Contrat social III 11).

[42]. A cet égard, c’est la théorie du gouvernement (livre III du Contrat social), qui constitue l’apport majeur de la philosophie politique rousseauiste.

[43]. A Mirabeau, 26 juillet 1767.

[44]. Émile I p. 249.

[45]. Du bonheur public, O.C. III, p. 512.

[46]. Ibid., p. 512.

[47]. Contrat social, I, 5.

[48]. Émile I p. 249.

[49]. Ibid.

[50]. Du bonheur public, O.C. III, p. 511.

[51]. Cf. Rousseau. Le Contrat social, Paris, Ellipses, 2000, pp. 49-53, et J.J. Rousseau, l’individu et la république, ch. cinq.

[52]. Émile IV, p. 491.

[53]. Contrat social, II 4, p. 373.

[54]. « La volonté générale […] tend toujours à la conservation et au bien-être du tout et de chaque partie » Discours sur l’économie politique, p. 245. Cf. également Contrat social, IV, 1, « Tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comm un seul corps, ils n’ont qu’une seule volonté, qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être général » ; également Manuscrit de Genève, I 4 p. 295.

[55]. Cf. p.ex., et à la suite d’Augustin, Cité de Dieu, XII, 1 : le Traité de morale, première partie, Chap. VIII, § 16.

[56]. Émile I p. 249.

[57]. Considérations sur le gouvernement de Pologne, O.C. III p. 958.

[58]. Il y a bien progression, cf. Émile IV, p. 600 : « Connaître le bien, ce n’est pas l’aimer, l’homme n’en a pas la connaissance innée ; mais sitôt que sa raison le lui fait connaître, sa conscience le porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné ». Cf. également A Christophe de Beaumont, O.C. IV p. 936 : « la conscience ne se développe et n’agit qu’avec les lumières de l’homme ».

[59]. Sur la conscience comme terme des transformations de l’amour de soi, cf. A Christophe de Beaumont, O.C. IV p. 936 : « Cela prouvé, l’amour de soi n’est plus une passion simple ; mais elle a deux principes, savoir l’être intelligent et l’être sensitif, dont le bien-être n’est pas le même. L’appétit des sens tend à celui du corps, et l’amour de l’ordre à celui de l’âme. Ce dernier amour développé et rendu actif porte le nom de conscience ».

[60]. On oublie souvent que l’ordre qui régit l’univers signifie une hiérarchie, et que cette hiérarchie transparaît encore chez Rousseau dans le monde humain. Rousseau trouve l’exemple des lapons et des caffres, qui n’ont que « quelque notions grossières d’une divinité » (A Christophe de Beaumont, p. 952), dans un texte sévère de P. Nicole (« De la faiblesse de l’homme » in Essais de morale , Paris, P.U.F., p. 50-51) incluant dans « le nombre de stupides », « presque tous les gens de travail, presque tous les pauvres, la plupart des femmes de basse condition, tous les enfants ». Rousseau n’est pas loin d’adopter le même ton, à propos du peuple, « encore si stupide », dans la lettre A Christophe de Beaumont (p. 952), et qui se voit de ce fait retirer une part de bonheur (cf. Du bonheur public, O.C. III p. 512 : « il n’y a aucun gouvernement qui puisse forcer les citoyens de vivre heureux, le meilleur est celui qui les met en l’état de l’être s’ils sont raisonnables. Et ce bonheur n’appartiendra jamais à la multitude »).

[61]. Discours sur l’inégalité p. 179.

[62]. Cf. R. Mauzi, op. cit. p. 164.

[63]. P. ex. in Émile II pp. 307-308.

[64]. Émile IV p. 506.

[65]. L’expression est d’E. Durkheim, in « Le contrat social de J.J. Rousseau », Revue de Métaphysique et de Morale 1918, pp. 129-161 : « En résumé, la volonté générale, c’est la moyenne arithmétique entre toutes les volontés individuelles en tant qu’elle se donnent pour fin une sorte d’égoïsme abstrait à réaliser dans l’état civil ».

[66]. Cf. Discours sur l’économie politique : « les sociétés particulières étant toujours subordonnées à celles qui les contiennent, on doit obéir à celles-ci préférablement aux autres […] la volonté la plus générale est toujours la plus juste », O.C. III p. 246.

[67]. « Le premier prix de la vertu est de sentir qu’on la pratique », Émile IV p. 595. De même, A D’Offreville d’octobre 1761 : « il est certain que faire le bien pour le bien c’est le faire pour soi, pour notre propre intérest, puisqu’il donne à l’âme une satisfaction intérieure, un contentement d’elle-même sans lequel il n’y a pas de vrai bonheur ».

[68]. Émile IV p. 587.

[69]. Ibid p. 603.

[70]. « C’est alors que le bon usage de sa liberté devient à la fois le mérite et la récompense, et qu’elle [l’âme] se prépare un bonheur inaltérable en combattant ses passions terrestres » Ibid.

[71]. Ibid p. 636 : « C’est alors seulement qu’il trouve son vértiable intérêt à être bon […] à être juste entre Dieu et lui […] pour jouir enfin du bonheur durable que le repos d’une bonne conscience et la contemplation de cet Etre suprême lui promettent dans l’autre vie, après avoir bien usé de celle-ci ».

[72]. Cinquième promenade, O.C. I p. 1046-1047 ; Cf. H. Gouhier, « La métaphysique du promeneur solitaire », in Les méditations métaphysiques de J.J. Rousseau, Paris, Vrin, 1970, p. 113.

[73]. « De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et sa propre existence », Cinquième promenade, p. 1047.

[74]. J.J. Rousseau, l’individu et la république, ch. neuf.

[75]. M. Raymond, O.C. I, Introductions, p. XCI.

[76]. Deuxième promenade, p. 1005.

[77]. Émile IV p. 586 : « sans doute je ne suis pas libre de vouloir mon propre bien, je ne suis pas libre de vouloir mon mal ; mais ma liberté consiste en cela même que je ne puis vouloir que ce qui m’est convenable ou que j’estime tel ».

[78]. Deuxième dialogue, p. 805.

[79]. La thématique est la même lorsque Rousseau décrit ses extases, cf. A Malesherbes du 26 janvier 1762, cinquième promenade p. 1047, septième promenade p. 1066.

[80]. Émile IV, p. 604/605.

[81]. Cf. P. Hadot, « le rapport au cosmos et l’expansion du moi », in Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, (coll. folio) pp. 309-321.

[82]. Émile IV, p. 602.

[83]. Ibid.

[84]. Émile IV, p. 603.